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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Il gardait encore la mine empruntée et maladroite de ses dix-huit ans.
    — Allez pendre votre paletot dans l’entrée, puis attendez-moi dans le salon. Je vous rejoindrai dans quelques minutes.
    Docilement, il lui obéit. Pour se donner une contenance, il fit semblant de s’intéresser à une revue américaine.
    Elisabeth revint enfin dans l’embrasure de la porte, un plateau dans les mains.
    — Nous allons monter chez moi. Ici, des locataires peuvent arriver à tout moment.
    — Alors, laissez-moi porter cela pour vous.
    L’homme prit le plateau des mains de son hôtesse, la suivit dans l’escalier. En montant, il apprécia la taille toujours mince, les fesses
    rondes.
    Cette
    femme
    vieillissait
    sans
    réellement perdre son charme.
    Dans la suite, elle lui désigna le fauteuil occupé par Jeanne exactement une semaine plus tôt. Elle versa le thé, pour ensuite prendre sa tasse et la porter à ses lèvres. En la reposant, elle déclara enfin :
    — Je vous ai menti, je vous en demande pardon. Mais c’était à la demande de votre amie.
    Fernand ouvrit de grands yeux désemparés.
    — Elle est en haut. Elle m’a demandé de vous répondre avec cette histoire d’absence.
    Le visiteur fit mine de se lever.
    — Les quartiers des domestiques se trouvent sous les combles ? demanda-t-il.

    — Attendez un instant, je vous en prie.
    Son hôtesse s’était penchée pour mettre la main sur son avant-bras. L’homme se cala dans son fauteuil, la regardant droit dans les yeux.
    — Vous savez que j’ai beaucoup de respect pour vous.
    Beaucoup d’affection aussi. Nous nous connaissons depuis plus de vingt-cinq ans.
    L’homme hocha la tête. Edouard s’était lié d’amitié avec ce voisin débonnaire dès son admission au Petit Séminaire.
    En conséquence, Fernand avait fréquenté leur demeure avec une belle régularité depuis l’adolescence.
    — Jeanne ne veut plus vous voir, continua-t-elle.
    — ... Mais je l’aime.
    — Et elle aussi, n’en doutez pas. Toutefois, si elle veut se donner une chance d’être heureuse, elle doit prendre ses distances.
    Depuis son arrivée, la domestique avait profité du bon accueil de sa patronne pour se confier à elle. Elisabeth ne se sentait pas la force de renvoyer cet homme chez lui à chacune de ses visites sous de faux prétextes, jusqu’à ce qu’il se lasse de venir. Prendre l’initiative de clarifier la situation lui semblait préférable.
    — Vous comprenez, elle ne peut rien attendre de vous.
    Vous êtes marié. Un avenir composé de rendez-vous clandestins, ce n’est pas pour elle.
    Il se tut, son visage devenait un masque de tristesse.
    — Mais je l’aime, répéta-t-il.
    — Je sais. Toutefois, votre amie ne veut plus s’occuper de l’homme d’une autre, des enfants d’une autre. Elle mérite mieux de l’existence. Aujourd’hui, la meilleure façon de l’aimer, c’est de la laisser s’éloigner, n’est-ce pas ?
    L’homme baissa les yeux, réfléchit à la situation. Si sa raison admettait le bien-fondé des arguments de son hôtesse, son cœur se révoltait.
    — La première fois où elle a évoqué la nécessité de partir, confia-t-il, je me suis imaginé menant une double vie. Le professionnel sérieux et le mari négligé à la maison, l’amant attentif lors d’escapades.
    — Pour vous, ce genre d’arrangement serait peut-être satisfaisant. Mais pour elle? Si Jeanne veut un jour avoir une famille...
    A son âge, le temps commençait à presser si elle rêvait d’avoir ses propres enfants.
    — Que vais-je faire ? questionna Fernand. Vous connaissez ma situation à la maison.
    Inutile de décrire à l’hôtesse l’abstinence imposée par sa femme. Eugénie n’hésitait pas à y faire allusion lors des repas dominicaux partagés dans la rue Scott. Cependant, Elisabeth ne se voyait guère lui conseiller de fréquenter un bordel de la Basse-Ville.
    — Si vous saviez combien j’aimerais monter..., confia-t-il ensuite.
    Donc, il renonçait déjà.
    — Pour la convaincre de changer d’idée ? Vous réussiriez sans doute. Vous y gagneriez une maîtresse pour quelques semaines, peut-être plus longtemps. Ce serait au détriment de Jeanne, n’est-ce pas? Et peut-être même du vôtre.
    Le visiteur appuya la tête sur le dossier du fauteuil et ferma les yeux. Cette femme ne le voyait pas pour la première fois dans un état proche du désespoir. Elle connaissait sa désastreuse vie amoureuse. Tout de même, il ne voulait pas

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