Thalie et les âmes d'élite
verser une larme devant elle.
Il trouva finalement la force de se lever pour marcher vers la porte. Sans se tourner vers elle, il laissa échapper avant d’ouvrir :
— Elisabeth, je vous remercie. Dans tous vos rapports avec moi, vous avez toujours affiché le même respect.
— Mais c’est la seule attitude convenable envers un homme comme vous. Et tout le monde affiche le même respect à votre égard, j’en suis certaine.
— Pas tous, vous le savez. J’ai épousé l’exception.
Sur ces mots, il quitta les lieux. Son chapeau enfoncé bas sur ses yeux, il s’engagea dans une longue marche à travers les rues de la ville. Pendant ce temps, dans sa petite chambre, Jeanne pleurait toutes les larmes de son corps.
*****
Depuis le début de la décennie, le cinéma l’emportait en popularité sur tous les autres loisirs, sauf peut-être les marches bras dessus bras dessous dans les lieux publics. Cela tenait en partie au coût relativement modeste des billets, mais aussi à la fascination à l’égard du monde fantasmatique présenté
par
les
producteurs,
en
particulier
ceux
d’Hollywood.
Ainsi, le plus modeste ouvrier voyait se mouvoir sur un écran des vedettes des deux sexes. Les hommes interprétaient le plus souvent les riches et les puissants de ce monde, coiffés d’un haut-de-forme ou d’un melon, souvent un cocktail à la main. Quant aux actrices, il s’agissait des plus belles femmes de la terre avec des cheveux frisés et des lèvres en cœur rehaussées de rouge, selon les canons de la dernière mode. Elles alimentaient les rêves de millions de spectateurs.
Comme les autres, en sortant de la salle obscure du cinéma Empire, le couple formé par Amélie et David cligna des yeux un long moment.
— Aimerais-tu venir prendre un thé chez moi ? demanda la jeune femme tout en indiquant de la main la boutique ALFRED, à quelques pas de là. Un thé, ou une autre boisson.
— Aujourd’hui, c’est le jour de visite de ta sœur aînée, je pense.
— Oui, elle est venue pour le souper.
— Dans ce cas, autant nous rendre au café, de l’autre côté de la rue.
Elle le regarda un peu de travers, surprise du motif invoqué. Lors de rencontres précédentes, Françoise, Gérard et lui avaient paru s’entendre plutôt bien. Elle s’abstint pourtant de la moindre remarque.
Le Café du Nouveau Monde s’emplissait des jeunes gens habituels, des étudiants pour la plupart désireux de refaire le monde devant une tasse de café. Depuis septembre, le grand sujet de conversation était le gouvernement fédéral minoritaire.
— Nous devrons aller au fond, commenta David.
Il restait une table libre près de la cuisine. Ils devraient composer avec le va-et-vient des serveurs et les bruits de vaisselle. Pendant qu’ils se rendaient à la place disponible, la jolie blonde suscita des regards appuyés, parfois des saluts de la tête. Elle était sortie une fois ou deux avec certains de ces clients. Chacune de ces salutations suscitait chez son compagnon un petit pincement au cœur.
— Peux-tu me dire pourquoi voir ma famille te rebute, aujourd’hui ? demanda Amélie une fois assise.
Comme le serveur se présentait pour prendre la commande, son
compagnon
en
profita
pour
bien
peser
sa
réponse.
— Ta famille ne me rebute pas du tout, ne va pas croire cela. Toutefois, je me sens un peu mal à l’aise, tu le sais.
Les yeux de la jeune femme passèrent bien vite sur la veste de tweed un peu déformée par un usage intensif. Le tissu en coton de la chemise paraissait si usé que les fils se cassaient.
— Tout le monde te trouve absolument charmant.
— Bien sûr.
La lassitude marquait sa voix. La difficulté ne tenait pas à sa méconnaissance des usages de la vie en société. Il savait sourire, donner les bonnes réponses quand on lui posait une question, montrer combien son esprit était vif. Mais à une époque où les chantiers de construction se multipliaient dans la province, sa recherche d’un emploi véritablement intéressant ne se déroulait pas aussi bien que prévu.
La petite théière en porcelaine et les tasses apparurent bientôt entre eux sans qu’il ne s’étende davantage sur le sujet.
— Alors, pourrais-tu me dire exactement ce qui te vaut cet état d’âme ? questionna Amélie.
— Ma situation professionnelle me met sur les nerfs, tout simplement. Puis Gérard...
L’homme s’arrêta juste assez longtemps pour qu’elle insiste :
— Gérard
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