Thalie et les âmes d'élite
Raymond Lavallée se tenait parmi la classe de Belles-Lettres, bien droit, le regard sur le célébrant. La famille du défunt, les yeux gonflés de larmes, figurait au premier rang. Au son du Requiem, les épaules de la mère furent secouées de sanglots.
Le professeur de la classe de Méthode assuma tout naturellement la responsabilité de prononcer l’éloge funèbre.
— Paul-Émile faisait la fierté de ses parents, la joie de ses professeurs et de ses camarades par son naturel heureux, sa constance au travail, sa générosité...
Les décès d’écoliers étaient assez nombreux pour que chacun reconnaisse là un texte convenu, repris rigoureusement quand survenait ce genre de malheur. Changer le prénom suffisait.
Il convenait qu’un élève complète l’eulogie. Cette fois l’honneur incomba à Jacques Létourneau:
— Letendre. Voilà un patronyme pas tellement approprié.
Enfin, il ne le fut pas toujours pour ses camarades. Couture pourrait
nous
entretenir
d’une
punaise
longue comme ça qu’il avait posée sur sa chaise, à la salle d’étude..
Un fou rire nerveux s’empara des écoliers, les maîtres froncèrent les sourcils. Pourtant, pour la première fois, quelqu’un dressait un portrait réaliste du disparu: un adolescent enjoué, taquin, souvent hautain, parfois vindicatif. Un être vivant, tout simplement.
Quatre élèves devaient porter le cercueil pour sortir le corps de la basilique. Choisi parmi les plus grands, et chez ceux qui entretenaient avec lui des relations amicales, Létourneau fut de nouveau mis à contribution. La chorale du Petit Séminaire entonna In Paradisium pour accompagner la dépouille.
Dehors, la classe de Méthode fut invitée à se répartir entre deux
autobus
pour
aller
jusqu’au
cimetière
Belmont, à Sainte-Foy. Les autres écoliers se dirigèrent vers la grande cour intérieure de l’établissement d’enseignement pour
une
courte
récréation
avant
le
début
des
leçons.
Raymond chercha Louis des yeux et le trouva dans un coin, la mine défaite. Ce jour-là, personne n’avait le cœur à jouer. Certains enfants formaient de petits groupes pour parler à voix basse, les autres s’isolaient pour donner libre cours à des pensées moroses.
— C’est triste, tout de même, dit l’adolescent. Partir comme ça, en jouant.
Louis, d’abord silencieux, lui tourna le dos avant de remarquer :
— Mon directeur de conscience m’a parlé des amitiés particulières.
— ... Ton directeur, c’est Verville ?
— Oui.
Ce vieil ascète, tellement effrayé par les femmes, devait l’être encore plus par les petits garçons un peu trop blonds, à la peau un peu trop claire et douce.
— Il m’a demandé comment Paul-Emile est mort, ajouta le jeune élève. Je lui ai raconté toute l’histoire.
Le garçon voulait dire les moqueries de ses camarades à propos des conciliabules un peu trop fréquents entre un petit et un grand, la poursuite, le choc.
— C’est un accident. J’en ai parlé à un médecin, se défendit Raymond, troublé.
— Dieu n’aime pas ces... choses. Selon l’abbé, c’est un signe, un avertissement pour moi.
— Si c’était un signe, ce serait l’un de nous deux qui...
Toi ou moi...
Louis secoua la tête, puis s’éloigna lentement.
*****
A l’heure du souper, Raymond imposa son visage lugubre au reste de sa famille. Son état d’âme finissait par peser sur les autres. Finalement, en sortant de table, le père ne put se retenir de poser la question à sa femme plutôt qu’au principal intéressé :
— Tu peux me dire ce qu’il a ?
— Mais tu le sais bien, un de ses amis est mort, au Séminaire. Ce matin, c’était son enterrement.
L’homme jeta un regard irrité sur son fils, comme s’il lui reprochait de s’émouvoir sur le sort d’une personne étrangère à la famille. Epuisé par la tension des derniers jours, l’adolescent s’excusa et s’enfuit vers son refuge habituel, l’église Saint-Roch. A genoux à la sainte table, les bras posés sur la balustrade, il regarda l’autel jusqu’à ce que son esprit se vide. L’encens, les lueurs des lampions, les peintures et les statues en plâtre, tout cela lui donnait l’impression d’abandonner la réalité pour pénétrer dans un univers à la fois étrange et rassurant.
Vers dix heures, à la petite table dans sa chambre, le cahier de son journal ouvert, il relut ce qu’il avait écrit les derniers jours. Avant de le
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