Thalie et les âmes d'élite

discutaient entre eux. La scène rappelait la campagne, un mode de vie plus simple.
    — Tu y vas souvent ?
    — Tous les matins et tous les soirs.
    — Cela ne te laisse pas beaucoup de temps pour la vie de famille.
    — Ma vraie famille se trouve là.
    Une certaine tristesse marquait la voix. Cet exil ne lui apportait pas que du plaisir.
    — Depuis quand rêves-tu de la prêtrise ?

    — Je ne sais pas trop. Toujours, je pense.
    — Voyons, un enfant ne naît pas avec l’idée de devenir prêtre.
    La répartie fut accompagnée d’un sourire.
    — Je vous assure, j’ai toujours souhaité le sacerdoce. Je suppose que mon intérêt vient de maman, elle a semé la graine, qui a germé.
    Thalie ne pouvait comprendre semblable résolution.
    Cela tenait sans doute aux premières années de l’existence.
    Marie aurait été désespérée de voir l’un ou l’autre de ses enfants entrer au service de l’Eglise.
    — Comment cela s’est-il passé ?
    — Quand j’avais quatre ans, ma mère m’a offert un habit de prêtre complet pour Noël.
    — Pardon ?
    — Un habit de prêtre. La soutane, l’aube, le surplis, la chasuble, l’étole, et même la barrette ! Elle était si fière; elle m’a emmené chez un photographe du quartier pour immortaliser le tableau. Le cadeau venait de la compagnie Dupuis Frères. Je l’ai encore.
    Quelle mère canadienne-française d’origine modeste ne rêvait pas d’offrir l’un de ses fils à l’Église ? De nombreux enfants de la province devaient encore jouer à dire la messe.
    — Tu as des frères et des sœurs, je suppose ?
    — Deux sœurs plus âgées, un frère plus jeune.
    — Aucune de tes sœurs n’a été tentée par la vocation religieuse ?
    — Non, ce n’est pas leur genre. Elles sont toutes les deux désespérément en quête d’un époux.
    Le mépris contenu dans le ton amena Thalie à répondre un peu brusquement :
    — Tu sais, ce n’est pas une mauvaise façon de vivre, aimer une personne de l’autre sexe, et être aimé de cette personne.
    — ... Bien sûr, je comprends, balbutia le garçon.
    — Toi, cela ne t’intéresse pas ?
    Raymond secoua la tête de gauche à droite. Sous le regard de la jeune femme, il répéta, le rose aux joues :
    — Je me suis donné à Dieu il y a des années. Je deviendrai prêtre.
    La jeune femme soupira devant une pareille exaltation.
    Elle termina son café, même si le liquide devenu tiède devait lui laisser un arrière-goût.
    — J’ai voulu te voir parce que tu m’inquiètes. Tu parais résolu à lever le nez sur tous les plaisirs de l’existence comme s’ils représentaient autant de menaces de perdre ton âme.
    — Pour me rapprocher de Dieu, je dois me mortifier, mater ma volonté, repousser les tentations. Ces plaisirs, ce sont les tentations du démon, mises sur notre route pour notre perte.
    — Tu me sembles faire de ta vie un enfer sur terre pour éviter un enfer dans l’au-delà.
    — Si je me rends digne de l’amour de Dieu, mon bonheur sera alors parfait.
    Le restaurant s’était vidé progressivement, une serveuse nettoyait les tables l’une après l’autre. L’heure de fermeture approchait.
    — Nous devons partir, sinon on nous mettra bientôt dehors, remarqua la jeune femme.
    Raymond acquiesça de la tête, récupéra son manteau posé sur le dossier de sa chaise en se levant. Thalie se débrouillerait avec le sien. Les cours de bienséance offerts au Petit Séminaire négligeaient peut-être les usages avec une compagnie féminine. Plus probablement, le garçon voulait éviter de se trouver trop près d’elle en l’aidant.
    Puis, ils descendirent dans le petit ascenseur aux parois en laiton. Un garçon d’une douzaine d’années en uniforme écarlate manœuvrait
    l’appareil
    avec
    compétence.
    Sur
    le
    trottoir de la rue Saint-Joseph, le médecin tendit la main en disant :
    — Je te souhaite d’être heureux avec les choix qui sont les tiens.
    — ... Merci. Je sais que je le serai, car je marche dans les pas de Jésus.
    Ils se quittèrent sur ces mots. Thalie fit quelques pas en direction de la rue de la Couronne, puis elle entendit une voix dans son dos :
    — Docteur Picard...
    En se retournant, elle vit l’adolescent toujours devant la porte du magasin.
    — Je vous souhaite de joyeuses fêtes.
    — Moi aussi, à toi et à ta famille.
    Ces vœux échangés, elle pressa le pas afin de prendre le tramway.

    *****
    — Tu es allée au magasin PICARD avec l’un de tes