Thalie et les âmes d'élite
L’agitation dans la rue dura jusqu’à quatre heures. Seule Gertrude connut une nuit passable. Après le petit déjeuner, Catherine embrassa tout le monde, les remercia de leur accueil, puis elle descendit avec son amie. Ensemble, elles se mêlèrent aux curieux afin de constater l’ampleur des dégâts. De nombreuses personnes délaissaient leur trajet habituel pour se rendre au travail afin de venir contempler le gâchis.
Les murs du restaurant restaient debout, mais tout noircis. Par rapport aux bâtiments des alentours, on aurait dit une vilaine carie dans une mâchoire saine. Il ne devait rien rester des cloisons intérieures ou même des planchers.
Quelqu’un déclara dans le rassemblement :
— Ils vont reconstruire, leurs affaires marchaient trop bien.
— C’est une opinion, ou une réalité ? demanda un autre badaud.
— Je connais quelqu’un qui connaît le propriétaire. De toute façon, ils sont assurés.
Thalie tira sur le bras de son amie pour l’entraîner de l’autre côté de la rue.
— Tu ne peux tout de même pas rencontrer ta cliente à huit heures du matin, déclara-t-elle.
— Nous avons rendez-vous à dix heures.
— Tu aurais pu rester à la maison.
— Mais tout le monde a ses occupations. Tu me vois passer une heure ou deux en tête-à-tête avec Gertrude?
demanda-t-elle, amusée.
Elles empruntèrent la rue Desjardins et passèrent près de l’église anglicane.
— Ton petit séjour parmi nous n’aura pas été très reposant, avec cet incendie.
— Mais j’ai été très heureuse de te revoir.
D’une pression de la main sur son coude, Thalie la remercia.
— Ce matin, j’ai des patientes à partir de neuf heures.
Mais si tu t’arrêtes au cabinet, Elise te servira un café avec plaisir. Tu laisseras ta valise sur place, avant de reprendre le train.
— Je ne veux pas déranger...
— Crois-tu vraiment que ta présence, ou ta valise, va déranger qui que ce soit? L’endroit où tu veux aller se trouve tout près de mon bureau, de toute façon.
Finalement, la jeune femme acquiesça. Avant de la quitter, Thalie lui promit de se rendre à Sherbrooke pendant les fêtes de fin d’année. Elles se dirent au revoir dans le cabinet du docteur Caron.
Chapitre 20
Une joie suspecte aux yeux du candidat à la sainteté envahissait la maison de la rue Grant. Un petit sapin occupait un coin du salon. François se réjouissait à l’idée que le père Noël lui apporterait peut-être un camion d’un rouge éclatant. Les deux sœurs aînées passeraient la journée du lendemain chez leur prétendant respectif, signe que les choses tournaient au mieux pour elles.
Un peu avant onze heures, Raymond Lavallée décida de se rendre dans sa véritable demeure, l’église Saint-Roch.
Un soir comme celui-là, bien des paroissiens ressentaient le besoin de se rapprocher de leur Créateur, ou peut-être des lumières multicolores et de la musique sacrée. La chorale se livrait à une dernière répétition avant la cérémonie. Les tuyaux
en
cuivre
du
grand
orgue
construisaient
un véritable mur sonore.
Le garçon se rendit devant le petit autel au bout de l’allée latérale de droite. Une grande crèche le décorait, avec ses personnages en plâtre. Saint Joseph paraissait tout surpris de se tenir là. Après tout, le pauvre homme devenait le père d’un enfant sans avoir touché sa femme : cela aurait même troublé l’époux le plus débonnaire. Marie, près de lui, paraissait toute fraîche malgré l’accouchement récent, vêtue de son éternel voile bleu et de sa robe blanche. Sa tenue cadrait mal avec le dépouillement d’une étable.
— Ma mère, murmura le garçon. Maman.
Depuis des semaines, il l’appelait à son secours plusieurs fois par jour. Ajoutés à la douleur qu’occasionnait le cilice, ces appels paraissaient une bonne défense contre la tentation. Les agaceries de Chariot se faisaient moins fréquentes et il y résistait plus facilement.
Dans toute cette mise en scène, seuls le bœuf et l’âne paraissaient crédibles, justement parce qu’ils ne prétendaient pas être autre chose qu’un bœuf et un âne. Le personnage central de la crèche,
Jésus,
retint
le
plus
longtemps
l’attention du jeune paroissien. Il aurait mieux convenu attendre minuit pour le déposer dans la mangeoire. Tout de même, ce gros bébé joufflu fabriqué en cire par de saintes religieuses paraissait sur le point de lancer un cri. A en juger
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