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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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chemisier légèrement ouvert sur son cou.
    «Voilà
    l’allure
    d’une
    dangereuse
    révolutionnaire»,
    songea Thalie.
    — En septembre, vous serez la première à entreprendre des études de médecine dans une université française de la province, commenta-t-elle
    à
    haute
    voix.
    Je
    vous
    félicite de tout mon cœur. Je tenais à vous le dire de vive voix.
    — ... Je vous remercie. Comme je sais qui vous êtes...
    Elle allait dire «cela me touche d’autant plus», mais l’arrivée d’un serveur amena son interlocutrice à commander un Earl Grey, tout en déclinant les pâtisseries et les sandwichs offerts.
    — Avez-vous essayé du côté de l’Université Laval ? questionna ensuite Thalie.
    — Oui, sans succès. De toute façon, l’idée de passer quelques années à Montréal ne me déplaît pas.
    — La vie dans les environs de la rue Saint-Denis, près de Sainte-Catherine, offre quelques distractions.
    L’Université de Montréal se dressait à cet endroit très animé de la ville depuis la fin du siècle dernier.
    — Les trois lignes sous la photographie indiquent que vous vous êtes classée première aux examens prémédicaux, indiqua encore Thalie.
    — C’est vrai !

    La jeune fille avait un peu monté le ton, comme pour défendre ce titre de noblesse. Un bref instant, elle trahit une détermination farouche. Son côté jeune femme un peu trop sérieuse ne lui enlevait rien de sa fougue.
    — Mais je n’en doute pas, la rassura Thalie. Puisque l’envie de cette carrière a germé dans votre tête, vous vous êtes condamnée à être la première, partout et toujours.
    Sinon, ils ne vous laisseront pas faire.
    Marthe Pelland sut tout de suite qui ce «ils» désignait.
    — Peu après ma demande d’admission, confia-t-elle, le vice-recteur de l’Université de Montréal a écrit à mon père pour le convaincre de me dissuader de persévérer dans ma démarche. Selon lui, je vais troubler le climat social de la faculté.
    Cette lettre, la candidate aurait pu la citer de mémoire, sans en rater un mot... tout comme celles venues de bonnes gens de toute la province, soucieux de répéter les mêmes exhortations déprimantes.
    — Comment votre père a-t-il réagi à la missive de ce bon ecclésiastique ?
    — Quelques jurons, pas très méchants, contre les empêcheurs de vivre librement dans notre province.
    — Cela ne l’a pas découragé ?
    — Pas du tout. Voyez-vous, il est fier de moi.
    Un peu de tristesse envahit Thalie à cette évocation.
    — Alors, buvons notre thé en l’honneur de ces pères modèles. Le mien comptait parmi ceux-là. Malheureusement, la mort l’a empêché d’assister à ma collation des grades, ce printemps. Je vous souhaite de tout cœur le bonheur de partager cet événement avec le vôtre.
    Les deux jeunes femmes restèrent songeuses.
    — Vous parliez de ma condamnation à être première..., murmura Marthe Pelland.
    — A tout le moins, parmi les trois premiers. Voyez-vous, le jour où vous serez la dixième d’une classe de quarante étudiants, ils commenceront à dire: «C’était prévisible, les femmes n’ont pas l’intelligence pour mener ce genre d’études. »
    L’argument se trouvait régulièrement évoqué dans les pages du Devoir, et dans toutes les autres publications pieuses de la province.
    — Il semble que notre cerveau soit moins lourd que celui de ces messieurs, ricana l’étudiante. Ceci explique sans doute cela ! C’est un beau sujet d’étude, le cerveau.
    — Puis notre « nature » nous rend inaptes à tout effort physique une semaine sur quatre.
    Thalie savait adopter une voix grinçante, celle des prêcheurs.
    — Curieux, quand il s’agit de faire travailler les femmes dans les usines de textile ou dans les grands magasins dix heures par jour, notre nature ne les retient pas du tout, renchérit Marthe Pelland.
    Puis, elles s’attardèrent sur le sujet du travail féminin.
    Pendant la guerre, des dizaines de milliers de ménagères avaient été engagées dans les manufactures. La paix revenue, les travailleuses mariées devaient inexorablement retourner à leurs chaudrons.
    — C’est bien vrai, tout de même, résuma la jeune étudiante après réflexion. Je me suis démenée comme une folle pour me préparer aux examens prémédicaux. L’Université de Montréal admet une quarantaine de personnes tous les ans, mais si j’avais été cinquième, je suppose que ma candidature aurait été rejetée. Ma

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