Thalie et les âmes d'élite

tous les esprits dès le plus jeune âge, la pudeur les empêchait de se sentir à l’aise.
    Aux vêtements de ville succédait un curieux accoutrement. Ces femmes
    formaient
    une
    étrange
    équipe
    dans
    leur
    habit rappelant celui des matelots : pantalon blanc et large arrivant à mi-mollet, chemisette de même couleur sur un tricot rayé, souliers en toile à semelle en caoutchouc.
    Elles se rassemblèrent autour de madame Hardy-Paquet comme des élèves un peu turbulentes, la plus jeune de vingt ans à peine, la plus âgée, de cinquante. Le tiers montrait un poids superflu, de là leur présence ; les autres cherchaient à rencontrer des personnes de leur condition tout en se dégourdissant les jambes. Leur hôtesse leur en donna tout de suite l’occasion en les engageant dans une course autour du grand ovale.
    Très vite, Thalie constata que les années passées dans les livres, puis les longues heures de consultation, préparaient bien mal à l’effort physique. Au huitième tour, une douleur lui traversa le flanc. Devant elle, Jeanne Hardy-Paquet faisait de longues enjambées, se tournait à moitié et poursuivait en reculant tout en encourageant le petit groupe de la voix.
    Cette femme dans la mi-trentaine, les cheveux blonds mi-longs, grande et efflanquée, respirait la santé. Elle partageait son temps entre faire transpirer les dames et initier les fillettes à la danse, au chant et au jeu dramatique.
    Cette grande salle abritait à la fois l’institut de culture physique et le Conservatoire Mignon.
    Après la course, les femmes s’attelèrent aux espaliers pour des exercices d’étirement. Elise accrocha ses bras aux barreaux supérieurs, leva la jambe gauche vers l’avant pour la replier. En copiant les gestes de ses voisines, Thalie l’aida à la soulever, jusqu’à faire toucher le genou à la poitrine.
    — Tu ne parais pas trop souffrir de l’effort, remarqua-t-elle.
    — Non. Je vois que toi, tu es à bout de souffle.

    — Je me sens un peu vieille... Et demain j’aurai mal à tout le corps.
    Sa compagne pouffa de rire et souleva l’autre jambe.
    Jeanne Hardy-Paquet s’approcha d’elles, corrigea leurs mouvements, puis demanda :
    — Les choses se passent bien ?
    — Mon amie vient de me confier se sentir vieille, ricana Élise.
    La femme observa sa nouvelle cliente.
    — Dans ce cas, vous avez bien fait de vous inscrire. D’ici un mois, si vous multipliez vos efforts, vous aurez trente ans.
    — J’en ai vingt-cinq...
    — Cela, c’est ce qui se trouve écrit sur votre baptistère.
    Moi je parle de votre corps. Cet automne, vous aurez rejoint le chiffre officiel.
    La femme s’éloigna pour s’approcher d’une autre équipe.
    — Donc, tu es devenue mon aînée, ricana Elise.
    Cette dernière avait tout juste dix ans de plus que sa compagne.
    — Dire que tu hésitais à venir ici... Finalement, tu es en meilleure forme que moi. Je prends ta place, nous allons voir si mes vieilles petites jambes ont encore un peu d’élasticité.
    Thalie s’accrocha à l’espalier. Le mouvement fit sortir le bas de la chemisette du pantalon. Le nombril à l’air, elle leva une jambe d’abord, l’autre ensuite, jusqu’à toucher à son tour sa poitrine avec son genou. A ces étirements succédèrent de nombreux exercices.
    Après quatre-vingt-dix minutes d’efforts, le groupe se retrouva dans le vestiaire, suant à grosses gouttes. Malgré toutes les fenêtres ouvertes, avec le soleil de l’été frappant sur les tôles du toit, la chaleur devenait vite étouffante.

    — Tout à l’heure, nous n’avons pas eu le temps de nous présenter, commença une grosse dame en tendant la main à Elise. Je suis Germaine Thibeau.
    — Élise Hamelin, la fille du docteur Caron. Mon amie est le docteur Thalie Picard. Elle vient tout juste de revenir à Québec.
    Le titre laissa la femme un peu interloquée, puis elle murmura :
    — Docteur ?
    — Comme dans médecin, précisa Thalie en offrant sa main moite à son tour.
    «Ta carte, c’est le moment», souffla Elise avant de se présenter à une autre dame. L’occasion était trop belle. Un peu rougissante, la jeune professionnelle chercha son sac à main dans son casier, sortit une poignée de ses petits rectangles en carton pour en présenter un à madame Thibeau d’abord, et à toutes les autres auxquelles elle serra la main ensuite.
    — Vous devriez en laisser une sur le babillard à l’entrée, déclara la grosse dame, et même en placer