Thalie et les âmes d'élite
quelques-unes dans une boîte. Beaucoup de monde passe par ici.
Finalement, l’exercice de mise en marché se déroulait tout naturellement. Un peu plus tard, ces femmes interrompirent les échanges pour se débarrasser de leurs vêtements mouillés. La morale interdisait les douches communes et personne ne voulait attendre une heure afin d’avoir son tour dans l’unique cabine aménagée. En sous-vêtements, elles se contentèrent de s’essuyer énergiquement avant de remettre robe, jupe, chemisier. Elles empesteraient toute la journée.
En sortant de l’édifice, les femmes échangèrent des souhaits de bonne journée, puis se dispersèrent.
— Tu n’as pas de regrets ? demanda Thalie.
— Moi, pas du tout. Finalement, je me suis bien amusée à courir, me plier dans tous les sens, puis courir encore.
Pour revenir au domicile des Caron, la rue offrait une pente un peu prononcée. Cela n’aidait pas le jeune médecin à retrouver son souffle. Sa compagne renifla un peu avant de demander :
— As-tu de nombreuses consultations aujourd’hui ?
— A compter de midi.
— Pour ta bonne réputation, mieux vaudrait que tu utilises le bain familial. Sinon, ta clientèle pourrait en souffrir.
— Je pue à ce point-là ?
Au lieu de répondre, l’autre se pinça le nez avec deux doigts avant d’éclater de rire.
— Je me demande si ma mauvaise odeur tient à l’exercice, ajouta Thalie, ou à ma gêne de distribuer ma carte.
— Certainement un peu des deux.
Tout de même, Elise lui offrit son bras pour poursuivre la marche.
*****
Flavie arriva lorsque le camion de livraison quittait l’immeuble en pierres grises située dans la rue Saint-Cyrille.
Sur l’artère nouvellement ouverte à l’ouest de l’Assemblée législative, le tramway faisait résonner sa cloche depuis peu.
Ce développement autorisait les entrepreneurs en construction à y exercer leur talent.
La jeune femme accéléra le pas et pénétra dans le logement du rez-de-chaussée
de
l’immeuble
pour
découvrir,
dans le salon situé immédiatement sur sa droite, un mobilier tout neuf. Le tissu montrait de grosses fleurs dans des tons de bleu. Lors de l’achat, Mathieu avait grommelé :
— Dans quelques années, nous aurons du cuir. Pour tout de suite, soyons raisonnables.
Raisonnable ! La jeune femme ne trouvait rien de raisonnable dans cette accumulation de dépenses.
— Te voila enfin ! déclara le maître des lieux en venant vers elle.
Enfin « chez eux», il pouvait l’embrasser avec un appétit évident. Au cours des années passées à la pension Sainte-Geneviève, la présence continuelle de témoins les condamnait à une certaine réserve.
— Nous avons maintenant un endroit où passer nos soirées, un autre où prendre nos repas, et même de quoi les faire cuire.
— Nous aurions pu trouver tous ces objets d’occasion, à la moitié, même au tiers du prix, plaida-t-elle de nouveau.
— Et déparer cette belle maison. Tu n’y penses pas.
Cet immeuble était, aux yeux de la jeune femme, la première dépense
faramineuse.
Bien
sûr,
un
jeune
avocat
membre d’un cabinet en vue de la ville devait se loger décemment. Elle comprenait qu’autrement, la clientèle lui ferait une mauvaise réputation. Mais de là à acheter cet élégant édifice !
— En plus du nôtre, nous voilà avec deux appartements sur les bras, se plaignit-elle de nouveau. Les locataires se font attendre.
— Ils viendront, ne crains rien. Alors, les loyers perçus paieront nos taxes et une partie de l’hypothèque.
Devant sa mine désolée, Mathieu prit sa femme dans ses bras et lui murmura tout près de l’oreille :
— Ne fais pas aussi mauvaise figure à notre chance. Ces meubles, pour la moitié, nous les payons avec le cadeau de mariage de maman. Nous n’y avons pas touché depuis cinq ans! — Mais cette grande maison...
— Les locataires feront en sorte que le coût mensuel ne soit pas si élevé pour nous. Mon annonce paraîtra dans Le Soleil lundi. Et regarde...
Tout en la tenant contre lui du bras gauche, il lui montrait le salon du droit : une belle grande pièce aux moulures en chêne, au papier peint d’une couleur apaisante.
— Nous avons deux chambres, continua-t-il, et même un petit boudoir, qui demeureront vides pour l’instant.
— Tu veux dire ton bureau...
L’idée d’avoir un boudoir pour elle seule laissait Flavie indifférente.
— Soit, mon bureau. Et dans ce cas, je vais y
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