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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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domestique.
    — Tu comprends, insista le notaire, je ne veux pas priver les enfants de ces quelques semaines au grand air.
    D’un autre côté, ce serait si simple d’embaucher une jeune fille du village pour t’aider. Je l’ai proposé, à la fin juin. — Et continuer de l’entendre tous les jours me rebattre les oreilles à propos de ma paresse? Ajouter encore un péché capital à la liste qu’elle me jette sans cesse au visage ?
    Quand l’homme fit mine de passer son bras autour de sa taille, elle se raidit et fit non de la tête. Leurs tête-à-tête demeuraient bien sages, cet été. Eugénie devrait retrancher une faute à la liste de ses reproches.

    *****
    Raymond Lavallée, pas très grand, présentait un corps robuste, des traits réguliers et des cheveux châtains un peu bouclés. En entrant dans l’église Saint-Roch, il remarqua tout de suite les crêpes noirs et violets pendus aux murs, contre les colonnes, et d’autres accrochés au maître-autel.
    Aucun habitant du voisinage n’était passé récemment de vie à trépas. Pourtant ici, comme dans toutes les paroisses du grand archidiocèse de Québec, chacun prenait une mine grave, affectée.
    La famille Lavallée se révélait trop nombreuse pour le banc numéro 21 situé dans l’aile sud de l’église. Les deux filles de la maison étaient venues à la basse-messe dès sept heures. Ses quatre autres membres devaient se tenir épaule contre épaule.
    L’adolescent, comme bien des élèves d’origine modeste, s’affublait de son uniforme scolaire chaque dimanche.
    Pendant toute la cérémonie, Raymond se tint la tête baissée, les mains jointes à la hauteur de la poitrine. A voir ses traits éplorés, un étranger à la paroisse aurait pu croire que les crêpes soulignaient le décès de ses deux parents.
    Lors du prône, monseigneur Emile Buteau monta en chaire d’un pas lent, la mine lugubre, pour commencer d’une voix attristée :
    — Aujourd’hui, nous sommes tous orphelins. Hier soir, vers onze heures et demie, Sa Grandeur Louis-Nazaire Bégin nous a quittés après une courte maladie.
    Ce décès était prévisible ; l’homme dépassait les quatre-vingts ans. Tout le monde affectait pourtant la plus grande surprise.
    — Il y a tout juste une semaine, Sa Grandeur se trouvait à Saint-Nazaire, l’une des premières paroisses qu’il a fondée au début de son séjour à la tête de notre diocèse, pour bénir la cloche de la nouvelle église. A son retour au palais épiscopal, il s’est effondré, frappé du mal qui l’a emporté hier.
    — Oh non !
    L’exclamation murmurée attira l’attention des paroissiens assis près du banc des Lavallée. La plupart sourirent de cette affliction un peu trop affichée; le père laissa entendre un soupir lassé.
    — Hier soir, vers dix heures trente, la fin semblait inévitable.
    Monseigneur Paquet et l’évêque auxiliaire, monseigneur Langlois, furent
    appelés
    auprès
    de
    l’auguste
    malade.
    Ce dernier récita la prière des agonisants. Comme Hilarion, l’illustre anachorète de Palestine, il aurait pu dire : « Pourquoi trembler, ô mon âme. Voilà plus de quatre-vingts ans que tu sers Jésus, et tu redouterais ses jugements ! »
    Le prélat domestique publierait ce sermon le lendemain, dans les pages de L’Action catholique.
    — La prière des agonisants terminée, monseigneur Langlois demanda au vénérable malade de bénir les personnes présentes.
    Buteau laissait entendre avoir été témoin de ces scènes édifiantes. Le petit accroc à la vérité passerait inaperçu aux yeux des paroissiens recueillis.
    — Toute la semaine, conclut-il après de longues minutes d’un hommage larmoyant, la dépouille de Sa Grandeur le cardinal Bégin sera en chapelle ardente au palais. Je suis certain que tous les habitants de la paroisse iront lui présenter leur hommage.
    Bien avant ces derniers mots, Raymond avait résolu de s’y présenter tous les jours.

    *****
    Peu après la fin de la messe, la famille Lavallée regagna son domicile, dans la rue Grant. Alors que le fils aîné montait à l’étage pour se réfugier dans sa chambre, le père occupa sa chaise habituelle à la tête de la table tout en laissant échapper :
    — Tu as vu toutes ses simagrées !
    L’homme joignit les mains à la hauteur de sa poitrine et regarda vers le ciel en agitant les lèvres dans une prière murmurée.
    Les aînées, âgées de dix-huit et dix-neuf ans, s’occupaient autour du

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