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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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gros poêle à charbon. Les jours où leur mère décidait de se rendre à la grand-messe, elles se chargeaient avec compétence de la préparation du repas dominical. Plutôt robustes,
    toutes
    les
    deux
    travaillaient
    six
    jours
    par semaine devant des machines à coudre de la Dominion Corset, la grande manufacture de la rue Desfossés qui avait fait de Georges Elie Amyot un homme riche. Le cadet de la famille, François, s’attardait sur le trottoir en compagnie de camarades de jeu.
    — Notre fils est un bon catholique. Tu ne vas pas le lui reprocher, toujours ? plaida la mère.
    Il s’agissait d’une femme de quarante ans au corps abîmé par de nombreuses grossesses.
    — Ce n’est plus être catholique, ça. Je crèverais, ça ne lui ferait pas remuer un sourcil. Mais le départ de Son Eminence le met à l’envers. Bientôt, il va se mettre un sac sur le dos et de la cendre sur la tête !
    La suggestion prouvait que le bonhomme avait retenu quelque chose de la lecture de l’Ancien Testament.
    — Avoir un prêtre dans la famille, ce sera une bénédiction pour nous tous, répliqua son épouse.
    La mère n’osait pas préciser «surtout pour toi». En vérité, tous les voisins rougiraient d’une envie coupable devant leur sort. Pour une femme, voir l’un de ses rejetons entendre l’appel de la vocation équivalait à la promesse d’un accès direct vers le ciel.
    — Je vais m’asseoir en arrière.
    Sur ces mots, le père ouvrit la porte de la glacière pour en tirer une bière Boswel, puis la décapsula d’un geste rageur.
    — Tu ne vas pas boire un dimanche...
    — Maintenant qu’elle est ouverte, je ne la gaspillerai certainement pas.
    Plus tard, dans la cour arrière, Onézime Lavallée posait les fesses sur une caisse en bois. Jamais il n’avait pensé appeler ce petit rectangle de terre un jardin. Pourtant, entretenu avec soin, il lui procurait des choux, des navets, des carottes et même de la rhubarbe. Tous les jours, ce potager exigeait une bonne heure d’efforts. Le long du mur de la maison, une construction basse couverte d’un léger grillage contenait deux lapins adultes et une bonne douzaine de petits. Une autre bâtisse sommaire, le long de la clôture, abritait des poules.
    Tous ces réflexes de paysan permettaient d’améliorer le quotidien de la famille. Le salaire du père, employé du Canadien National, additionné à celui des filles, aidaient ces gens à satisfaire leurs besoins essentiels et même à se payer un luxe inouï: avoir un garçon étudiant au Petit Séminaire de Québec.
    — Baptême ! pesta l’homme après avoir avalé le tiers de sa bière. S’il tenait absolument à une vie de vieux garçon, les Frères des écoles chrétiennes étaient assez bien pour lui.
    Depuis quatre ans, je me saigne pour payer son damné cours classique, et il lui en reste autant à faire. Après, ce sera le Grand Séminaire !
    La formation des Frères des écoles chrétiennes durait peu de temps, et la congrégation en assumait bien souvent le coût dans le cas des jeunes gens susceptibles de s’engager dans une carrière de quarante-cinq ou cinquante ans d’enseignement en échange d’une maigre pitance. Les autorités du Séminaire, quant à elles, ne s’étaient pas montrées généreuses quand était venu le temps de s’entendre sur le montant de la scolarité annuelle.
    Surtout, tout en poussant ce fils de la paroisse dans la carrière ecclésiastique, monseigneur Buteau n’avait pas mis la main dans sa poche. Pourtant, cela faisait partie des usages dans le cas des vocations récoltées dans un milieu comme le sien. Le curé ne prêchait pas par l’exemple.

    *****
    — Je me sens tellement intimidée, répétait Flavie pour la dixième fois peut-être. Je n’ai jamais appris à faire la cuisine.
    Ce n’était pas tout à fait vrai, mais les mets rustiques préparés dans la maison paternelle à L’Ancienne-Lorette ne séduiraient pas les membres de sa belle-famille.
    — Dans ce cas, répondit Gertrude de sa voix bourrue, arrête de me dire de m’asseoir. Tasse-toi plutôt pour me faire une petite place près de ce poêle.
    — ... Mais vous êtes une invitée !
    — On ne va tout de même pas se disputer sur les détails.
    Sans plus discuter, la domestique ouvrit la porte du four pour se pencher sur le rôti. La petite cuisine accueillait tout un équipage de femmes. Avant que toutes ces cuisinières ne gâchent la sauce, Marie prit sur elle de chasser les

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