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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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de son mari. Dans les faits, il n’y attachait pas la moindre importance.
    — Tu ne me parles pas beaucoup de ton travail, remarqua-t-elle au dessert.
    Flavie appuya sa joue contre la paume de la main droite, le coude sur la table, en lui adressant son meilleur sourire.
    Mathieu caressa discrètement son mollet du pied, sous la table.
    — Depuis des semaines, je cherche des propriétaires de terrains le long de la rivière Saint-Charles et je négocie leur achat.
    — De grands terrains ?
    — Assez vastes pour qu’on y construise une usine de papier.
    — Une autre ? Cela commence à faire beaucoup.
    Les papetières se multipliaient depuis le début du siècle dans la province de Québec. Rien ne paraissait entraver la croissance économique.
    — Les investisseurs viennent d’Angleterre. Au rythme où ils dépensent, ils paraissent résolument optimistes.
    — A qui appartiennent ces terrains ?
    — Parfois à des particuliers, mais surtout au gouvernement. A cause
    de
    la
    forte
    activité
    portuaire,
    Ottawa
    a
    beaucoup acheté.
    Un des avantages insoupçonnés du service militaire de Mathieu avait été l’apprentissage de l’anglais, tant celui des Canadiens de l’autre côté de l’Outaouais que la version déclinée avec plusieurs accents au Royaume-Uni. Dans les circonstances, cela lui donnait un net avantage sur les diplômés de la faculté de droit de sa génération.
    — Cela ne durera pas des mois, remarqua-t-elle, un pli au milieu du front.
    — Mais ensuite, il y aura un autre industriel soucieux d’agrandir, ou alors une jolie querelle entre entrepreneurs.
    Ne t’en fais pas, tout va bien pour moi.
    — M’inquiéter, c’est dans ma nature.
    — Et dans la mienne, de te rassurer.
    Leurs mains se rejoignirent sur la table.

Chapitre 10

    Le dernier jour d’août, un dimanche, la famille Dupire regagna le grand domicile de la rue Scott. Comme chaque année, la place manquait dans la voiture familiale. Jeanne effectua le trajet en train avec la vieille dame, Antoine et Béatrice. Le cadet des enfants, sa mère et de nombreux bagages profitèrent du confort tout relatif de la Chevrolet.
    Pendant le trajet, l’aîné des garçons se plaignit de son sort. Il devait non seulement abandonner les travaux de la ferme, mais, dès le lendemain, intégrer de nouveau l’école des Frères des écoles chrétiennes. Pendant dix mois, sous la férule des sinistres oiseaux noirs, il parcourrait le programme du cours complémentaire.
    Le soir venu, même si elle était exténuée après avoir défait et rangé tous les bagages de la famille, Jeanne quitta sa chambre un peu après dix heures pour emprunter l’escalier au fond de la maison. Des chambres de domestiques sous les combles,
    il
    conduisait
    à
    la
    cuisine
    au
    rez-de-chaussée. Surtout, il lui permettait de rejoindre la garçonnière à l’étage en toute discrétion.
    Ses doigts effleurèrent le bois de la porte.
    — Te voilà enfin, murmura Fernand lorsqu’il ouvrit.
    Jeanne entra, puis se tint au milieu de la pièce. L’homme avait posé deux verres sur le petit guéridon entre les deux fauteuils.
    — Viens t’asseoir. Il y a une éternité que je t’ai versé un porto.

    Elle le remercia d’un sourire, puis avala une petite gorgée de la boisson.
    — Ici, à Québec, tu auras un peu moins de travail et l’occasion de te reposer en soirée.
    La précision lui valut une grimace. Le grand lit prenait place au fond de la pièce. La domestique avait le sentiment de payer bien cher les intermèdes dans la couche de son patron.
    — Ces dernières semaines, j’ai pu réfléchir longuement.
    Je ne suis plus capable de vivre sous ce toit.
    — Tu n’es pas sérieuse... Notre «arrangement»...
    Au cours des dernières années, ils se réunissaient deux ou trois fois par semaine dans cette pièce. Tout le reste du temps, ils devaient affecter la complicité distante de mise entre un patron et son employée.
    — Au fil des mois, elle devient de plus en plus méchante.
    Je n’en dors plus.
    — ... Je pourrais lui parler, lui faire entendre raison.
    — C’est à moi d’entendre raison, pas à elle. C’est ta femme, ce lien est indissoluble. Ni toi ni moi ne pouvons rien y changer.
    — Depuis la naissance de Charles, je ne l’ai pas touchée.
    Tu le sais bien.
    — Ça ne change rien à la réalité de votre mariage.
    La domestique avait raison. La loi autorisait Fernand à prendre sa femme de force, ou à réclamer une

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