Théodoric le Grand
plaisir :
— Certainement, Saio Thorn.
Aussi dès le lendemain, avec une fierté de propriétaire, le
jeune Frido me fit les honneurs de sa ville de Pomore ; en fait, il n’y
avait pas grand-chose à montrer, la cité étant un simple carrefour commercial
voué à l’échange de produits venus de l’extérieur. L’unique production locale
était l’ambre, et Frido me montra les ateliers de plusieurs lapidaires,
histoire de m’instruire sur la transformation de cette matière en perles,
bracelets et autres fibules.
L’enfant se révéla un guide agréable, pas du tout imbu de sa
personne à l’instar de sa mère. Une fois débarrassé de sa royale présence, il redevint
un garçon comme les autres, pétillant et amical, du moins tant que la
conversation ne dérivait pas sur elle. Quand je lui demandai pour quelle raison
il n’avait pas suivi son père à la guerre, il se rembrunit et marmonna :
— Maman dit que je suis trop jeune pour cela.
« Mère Amour… » pensai-je en mon for intérieur, et
les souvenirs que cela m’évoqua me firent sourire. Je poursuivis, à haute voix
cette fois :
— J’ai connu quantité de mères différentes, Frido, mais
aucune qui soit vraiment la mienne, aussi ne suis-je sans doute pas le mieux
placé pour juger. Pour autant, il me semble que la guerre serait plutôt
l’affaire d’un père, ou d’un frère, que celle d’une mère.
— Tu penses donc que j’aurais l’âge d’y aller,
toi ?
— Peut-être ne pourrais-tu pas véritablement participer
aux combats, mais cela ne t’empêcherait pas d’y assister. Tu seras bientôt un
homme, et tout homme doit avoir connu cette expérience. Il serait dommage de
laisser passer cette occasion, qui sera peut-être la seule à se présenter au
cours de ta vie. Cela dit, tu n’as que neuf ans. Tu as donc tout l’avenir
devant toi. Mais au fait, Frido, quelles distractions viriles as-tu,
actuellement ?
— Eh bien… on me laisse jouer avec les autres garçons
du palais, dans la mesure où ils respectent mon rang et ne sortent pas du leur.
On m’autorise à monter à cheval sans écuyer, pourvu que je ne parte pas au
galop, et j’ai le droit de me promener sur la plage tout seul et d’y ramasser
des coquillages… à condition de ne pas me baigner.
Croisant mon regard, il conclut sans grande
conviction :
— Je possède une très belle collection de coquillages.
Nous marchâmes quelques instants en silence, puis il me
demanda :
— Et toi, Saio Thorn, que faisais-tu pour te
distraire, à mon âge ?
— À ton âge… attends un peu. Je n’avais pas de cheval.
Ni de plage. Et la plupart du temps, je devais travailler dur. Mais il y avait
une cascade, et une grotte, dans laquelle j’avais découvert des cavernes et des
tunnels enfoncés très loin dans les sombres profondeurs de la terre, et j’avais
fini par les explorer à fond. Je grimpais aux arbres, y compris les plus
inaccessibles. Un jour, au sommet de l’un d’eux, je me suis trouvé en tête à
tête avec un carcajou, et je l’ai tué.
Frido me dévisageait de ses yeux écarquillés, et j’y vis
passer une lueur d’admiration, mêlée de tristesse et d’envie.
— Quelle chance tu avais, étant jeune…, murmura-t-il,
de ne pas avoir de mère !
Je pris soin de ramener Frido au palais bien avant la tombée
de la nuit, afin de gagner la confiance de la reine Giso. Je la trouvai du
reste en train d’attendre dehors malgré le froid, entourée de plusieurs
serviteurs, aussi nerveuse qu’une chatte dont on manipulerait les petits. Et
tout comme un animal, elle parut grandement soulagée que son petit rentrât au
nid sain et sauf. Aussi accepta-t-elle sans trop ronchonner de le laisser
m’accompagner de nouveau le lendemain. Cette autorisation me remplit de joie,
tout comme ma remarque au sujet des hommes valides partis à la guerre en
compagnie du roi. La reine n’avait pas menti à ce sujet, à en juger par l’âge
et l’embonpoint des gardes qui restaient au palais : ils n’avaient pas
l’air beaucoup plus impressionnants que les officiels qui m’avaient accueilli à
l’arrivée au port.
Le prince et sa mère se retirèrent pour le nahtamats, et
je réintégrai mes propres appartements. Le repas n’était pas plus varié
qu’auparavant : encore à base de poisson… mais cette fois, il s’agissait
de morue.
Au cours des jours suivants, nous nous aventurâmes avec
Frido bien plus loin à l’intérieur des
Weitere Kostenlose Bücher