Théodoric le Grand
terres, ainsi que le long de la Côte de
l’Ambre, à dos de cheval. Frido montait un puissant hongre bai, presque aussi
superbe que mon noir Velox, et il fit preuve d’une réelle habileté équestre,
même quand je l’autorisai à prendre un petit galop enlevé. Vái ! Ce
fut même moi qui l’y poussai, dès que nous fûmes débarrassés de témoins gênants
qui auraient pu rapporter la chose au palais. Sa monte s’améliora encore dès
qu’il apprit par mes soins à se servir de la ceinture de pieds que j’utilisais,
et il en comprit vite tout l’intérêt. Un jour nous longions le rivage en
direction de l’est, le lendemain vers l’ouest, jamais plus loin qu’à une
demi-journée de voyage. Dès midi, je rebroussais chemin vers Pomore, afin de
permettre au jeune garçon d’être à l’heure au palais pour le nahtamats avec
sa mère. Et j’espère sincèrement qu’ils dînaient mieux que moi, car pour ma
part, j’en étais resté à une alternance de morue et de hareng. En tant
qu’invité, il aurait été déplacé de me plaindre, mais je trouvais cela pour le
moins curieux.
Je ne pouvais pas davantage maugréer auprès de quiconque en
évoquant le manque d’attrait de la Côte de l’Ambre, en dépit de son nom
évocateur. Les plages, je l’ai dit, étaient couvertes de sable fin, et, au moins
l’été, elles auraient pu représenter des sites agréables, sans l’incessant vent
du nord. Mais le fait de border l’Océan Sarmate constitue pour le golfe Wende
un handicap rédhibitoire, tant la vue depuis la côte est déprimante. J’avais
déjà eu l’occasion d’observer d’autres mers salées, comme la Propontis ou la
mer Noire, mais honnêtement, je me demande qui pourrait apprécier la vue
lugubre de l’Océan Sarmate. Jusqu’au plus lointain horizon, il apparaît d’un
gris uniforme d’un ennui mortel, à peine égayé d’une fine bordure d’écume
blanche là où il vient lécher le rivage.
Au fil de nos chevauchées sur les bords du golfe, le temps
se refroidit graduellement, et les vents se firent mordants, donnant décidément
à la Côte de l’Ambre une apparence sinistre. Juste en amont des docks de
Pomore, la Viswa s’était couverte de glace, et un peu au nord, même l’océan se
mit à durcir, les flots grisâtres charriant bientôt sur le rivage de gros
morceaux d’eau de mer gelée. Pourtant, ces promenades avec Frido demeuraient pour
nous deux d’agréables moments : elles permettaient au jeune garçon de
s’affranchir un peu de la stricte surveillance de sa mère, et elles me
donnaient l’occasion d’apprendre des choses nouvelles. Toutes n’avaient pas un
rapport étroit avec l’histoire que j’étais censé compiler, mais certaines ne
manquaient pas d’intérêt. Par exemple, Frido m’emmena jusqu’à l’étendue de
sable que les paysans slovènes ont appelée nyebyesk povnó, c’est-à-dire
la « terre bleue » (bien qu’elle soit plutôt d’un vert tristounet),
où l’on trouve souvent des morceaux d’ambre de tailles variées. Frido fut
également pour moi un interprète efficace chaque fois que je questionnais un
habitant de la côte ou un passant. Lui-même m’apportait parfois des
informations utiles, comme le jour où il m’apprit pourquoi les plats qui
m’étaient servis au palais restaient si répétitifs.
— De toutes les mers salées du globe, l’Océan Sarmate
est le moins salé, m’expliqua-t-il. Et aucune marée ne vient remuer et nettoyer
ses eaux, aussi sont-elles saturées de particules en suspension. Même l’été,
ses eaux sont très froides, et il leur arrive parfois de geler l’hiver sur une
telle épaisseur qu’une armée pourrait les traverser jusqu’au lointain Gutaland,
là-bas vers le nord. C’est pour toutes ces raisons, aux dires des pêcheurs, que
l’Océan Sarmate ne peut héberger ni bancs d’huîtres ni poissons d’eau profonde.
En fait, seuls le hareng et la morue sont accessibles… et consommables.
Finalement, me dis-je, la mer est ici aussi pauvre que les
sables sont infertiles. Ici encore, je foulais une terre que les Goths
n’avaient pas voulu habiter, à juste raison. Et je me demandais pourquoi il
avait fallu si longtemps aux Ruges qui les avaient remplacés pour se lasser de
la Côte de l’Ambre et décider d’aller courir l’aventure plus au sud. Mais un
autre détail des propos de Frido m’intéressa encore bien davantage.
— Tu as mentionné un lieu nommé
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