Théodoric le Grand
jeunesse, un certain
Séverin, qui lui a naguère prédit qu’il s’emparerait du trône de Rome.
Pitzias ajouta :
— Il garde ce Séverin auprès de lui en permanence, et
s’en sert de chapelain. Et même, on l’appelle désormais saint Séverin.
Soas apporta une nouvelle précision :
— On dit que le cardinal de Rome, Félix III, n’a
pu obtenir cette haute distinction qu’après avoir canonisé de son vivant le
vieux Séverin. C’est vous dire combien Odoacre est catholique, ja, ja…
— Eh bien, conclut Théodoric, Zénon a peur
qu’Odoacre atteigne un renom et une popularité qu’aucun de ses prédécesseurs
n’avait pu obtenir. Il craint que ce nouveau venu ne lui fasse de l’ombre dans
l’estime populaire, ainsi même que dans les annales de l’Empire !
— Voilà pourquoi il souhaite son éviction…, compléta
Soas d’un ton méditatif. Et son successeur, celui qui sera capable de mettre un
terme à son règne, ne devra surtout pas être de foi catholique.
— Strabo possédait toutes ces caractéristiques, fis-je
remarquer. C’était un guerrier expérimenté, à la tête d’un peuple belliqueux,
et de foi arienne, de surcroît. L’empereur aurait donc parfaitement admis
l’accession au trône de ce détestable tyran. Mais il dispose à présent, en la
personne de l’auguste consul que tu es, cher Théodoric, un candidat tout aussi
qualifié, et de valeur infiniment supérieure…
Sur un ton péremptoire, Théodoric m’interrompit :
— Même pour le trône d’Occident, jamais je n’accepterai
de n’être que le sous-fifre de Zénon. Je ne suis pas prêt à saisir l’occasion
juste parce qu’elle se présente.
Puis il sourit malicieusement et ajouta :
— Mais je puis jouer les jeunes filles effarouchées… Je
laisserai Zénon me faire la cour jusqu’à ce qu’il formule son vœu de façon
formelle, à genoux devant moi. Nous verrons alors, mes amis, quelles conditions
il proposera, et déciderons ensemble si nous les trouvons acceptables.
*
Les mois passèrent, sans que l’empereur n’ait précisé ses
intentions concernant Odoacre, se contentant de nous combler d’une hospitalité
sans limites et de nous divertir jusqu’à l’étourdissement. Théodoric semblait
décidé à se satisfaire de porter la pourpre et de jouir sans contraintes de
cette existence hédoniste. Dans ce contexte, ma présence à ses côtés n’avait
rien d’indispensable, et je lui demandai donc l’autorisation de partir en
voyage.
— Tant que je suis dans l’Empire d’Orient, fis-je,
j’aimerais aller voir de plus près à quoi il ressemble, au-delà de
Constantinople.
— Mais je t’en prie, Thorn, répondit-il, compréhensif.
Si j’ai besoin de toi, je saurai bien t’envoyer un messager.
Je demandai donc à l’un des marins du palais de nous
convoyer, moi et Velox, sur la Propontis, du port du Boukóleon jusqu’à
Chrysopolis [64] sur la berge opposée, ce qui revenait à franchir
la limite entre l’Europe et l’Asie. Je suivis plus ou moins les plages et
plaines côtières, voyageant au seul gré de ma fantaisie, et généralement dans
d’agréables conditions. Villes et villages n’étaient pas très distants les uns
des autres, reliés par de bonnes voies romaines, et de confortables pandokheíon grecs attendaient le voyageur le soir à l’étape, aussi le périple présentait-il
peu de difficultés ou de dangers. La douceur du climat méditerranéen s’ajoutant
au fait que je progressais vers le sud fît que je ressentis à peine le passage
de l’automne à l’hiver, et le retour du printemps.
Je traversai d’abord la région située au sud de la
Propontis, où vivent les Mysiens. Ce peuple naguère agressif avait été si
souvent défait au fil des siècles, réduit à la soumission et l’obéissance,
qu’ils avaient abdiqué tout caractère belliqueux. Leur dégénérescence était
telle qu’ils étaient devenus pleurnichards, gagnant leur vie en louant leurs
services dans des lamentations lors de funérailles. Leur triste histoire et la
mélancolie persistante de leur destin les avaient rendus capables de verser des
larmes pratiquement à la demande, pour n’importe quel défunt.
Le long des côtes de la mer Égée, je découvris plusieurs
villes dont la population et la prospérité avaient connu des jours meilleurs.
Smyrne a beau exister depuis les débuts de la civilisation et être restée un
port industrieux, son
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