Théodoric le Grand
provisions
destinées à les maintenir en bonne santé. Au cours des journées et des nuits
qui suivirent, Théodoric chevaucha du nord au sud, inspectant nos lignes,
distribuant des ordres, soumettant des suggestions à ses officiers.
Durant tout ce temps, les premières lignes des deux armées
s’étaient installées à portée de flèches l’une de l’autre. La distance, compte
tenu de la largeur du fleuve, était trop grande pour permettre un tir précis,
mais une pluie de flèches à trajectoire tombante aurait pu faire de gros
dégâts. Nos troupes, sommairement dissimulées sous le couvert d’arbres et de
buissons, n’étaient pas particulièrement protégées ; en ce qui concerne
celles d’Odoacre, elles ne disposaient même pas de cette faible protection.
Théodoric avait cependant strictement interdit à ses hommes de céder à la
tentation de lâcher une seule flèche, et apparemment, sur l’autre rive, la même
décision avait été adoptée.
Par une nuit parfumée où il m’avait emmené à cheval
reconnaître si l’on ne trouvait pas, un peu en amont, un gué praticable sur le
Sontius, Théodoric m’expliqua sa retenue en ces termes :
— Parce que le combat que je m’apprête à mener pourrait
être le plus déterminant de toute ma vie, j’entends observer la tradition
militaire la plus pointilleuse, qui consiste à déclarer formellement la guerre
avant de la lancer. Quand je jugerai le moment opportun, je m’avancerai sur le
Pons Sontii et jetterai mon défi d’une voix forte. J’exigerai qu’Odoacre se
rende avant que d’être vaincu, qu’il se retire de ma route vers Rome, et qu’il
me reconnaisse comme son successeur, son seigneur et son maître. Bien entendu,
il n’en fera rien. Lui ou l’un de ses officiers subalternes s’avancera à son
tour sur le pont, criera son refus et défiera mon autorité. Là-dessus, nous
déclarerons qu’un état de guerre existe désormais entre nos forces. La
tradition exige juste que nous ayons tous deux le temps de réintégrer nos
lignes sains et saufs. Dès lors, à l’instant même si nous le désirons, nous
pourrons lancer nos hommes à l’attaque.
— En ce cas, combien de temps attendras-tu encore,
Théodoric ? As-tu choisi d’accorder à nos hommes une période suffisante de
repos après leur longue marche ? Ou souhaites-tu juste, en guise de
raillerie, faire durer encore un peu le plaisir face à Odoacre, qui attend
depuis si longtemps notre arrivée ?
— Ni l’un ni l’autre, répondit-il. Et ne crois pas que
tous nos hommes aient été laissés au repos. Certains sont, tu le sais,
d’anciens légionnaires, et en possèdent encore tout l’équipement. Au cours des
nuits qui viennent de s’écouler, j’en ai envoyé plusieurs rallier doucement
l’autre rive à la nage, avec pour mission, dès que leurs habits auront séché,
de se fondre indistinctement dans la masse de l’ennemi, et d’ouvrir leurs yeux
et leurs oreilles ; dans le même temps, j’ai posté un réseau dense de
sentinelles pour empêcher l’intrusion d’espions de l’autre camp.
— Les nôtres ont-ils vu et entendu des choses
utiles ?
— Au moins une, oui. Odoacre est certes un soldat
expérimenté et capable, mais il est vieux… il a soixante ans passés. J’ai
appris avec un vif intérêt qu’il avait délégué une bonne part du commandement
militaire à un second plus jeune que lui, à peu près de notre âge. Un nommé
Tufa, Ruge de naissance.
— Akh, alors il est sans doute familiarisé avec
toutes les stratégies et tactiques de bataille propres aux tribus germaniques.
La « ruée de sangliers », et tout le reste…
— Odoacre n’en ignore rien non plus, tu sais. Il a
affronté bon nombre de tribus germaniques, en son temps. Ne, ce n’est
pas cela qui me tracasse. J’étais en train de penser… puisque ce général Tufa a
les mêmes origines que notre jeune roi Freidereikhs, on pourrait imaginer qu’il
puisse se laisser amadouer par un compatriote ruge…
— Jusqu’à trahir son souverain Odoacre ? À
corrompre de l’intérieur les défenses romaines ? Voire à nous
rejoindre ?
— C’est une possibilité intéressante à étudier, même si
je ne fonde pas là-dessus d’énormes espoirs.
Théodoric n’en dit pas plus sur le sujet. Nous avions
atteint le secteur situé en amont, où un contingent s’apprêtait à couper les
arbres. Il s’adressa à l’officier qui les
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