Théodoric le Grand
supériorité
numérique de nos troupes les contraignit à s’agglutiner les uns contre les
autres, la vigueur du travail de nos lances et de nos épées les força à
combattre à hauteur d’encolure, les empêchant de se pencher au niveau de leurs
assaillants au sol. Bon nombre de nos soldats d’infanterie furent piétinés et
écrasés, mais bien peu périrent par l’épée.
Quand nos ennemis comprirent qu’ils se trouvaient à la fois assaillis
par l’avant, par le flanc et par le dessous, mais pas par l’arrière, ils se
dirigèrent vers la seule voie de fuite que Théodoric avait prévue. Pendant
quelque temps ils tournèrent la tête de droite à gauche, reculant de biais et
cherchant à s’éloigner, agitant toujours leurs lames pour protéger leur
retraite, mais bientôt quelques-uns d’entre eux, suivis très vite par beaucoup
d’autres, tournèrent casaque et laissèrent leurs chevaux prendre la fuite au
galop. Et tandis qu’ils s’enfuyaient, ils enduraient le harcèlement des Ruges
positionnés le long de leur trajet. Leur retraite, totalement désordonnée,
tourna vite à la déroute et à la panique.
Quand les combats cessèrent, plus de deux mille hommes
gisaient au sol, pour la plupart des Scires et des Sarmates, et la plupart ne
bougeaient plus. Théodoric n’avait pas l’intention de faire de prisonniers, ni
de demander à ses lekjos de perdre leur temps à soigner les blessés,
aussi nos fantassins terminèrent le travail en exécutant les hommes à terre
encore vivants. Et notre armée ne resta sur place que le temps de creuser des
sépultures convenables pour nos morts. Contournant d’une large boucle les
troupes adverses, Freidereikhs était tombé sur un minuscule village,
Andautonia, peuplé d’une centaine d’habitants seulement. Freidereikhs mit à
contribution tous les hommes et femmes aptes à la tâche. Il les convoya en
troupeau jusqu’au champ de bataille souillé de sang et leur ordonna d’enterrer
les Scires et Sarmates morts, ou de disposer des cadavres à leur guise. Et
notre armée put poursuivre sa route sans délai.
*
À la mi-juillet, au plus fort de la chaleur estivale, nous
arrivâmes à Aemona, principale cité de Norique méridionale. Réputée avoir été
fondée par Jason l’Argonaute, la ville est fort ancienne, et au printemps comme
à l’automne, son agrément doit être incomparable. Elle s’étend sur les deux
rives d’un affluent de la Savus, et sa caractéristique la plus remarquable est
un mamelon d’une certaine altitude, du haut duquel on jouit d’une magnifique vue
sur les lointaines Alpes Juliennes et d’autres montagnes plus proches des
environs. Pour le reste, la ville s’étend sur une plaine entourée de marécages
qui exsudent en été des nuages d’insectes et de miasmes insalubres.
La seule colline d’Aemona est couronnée d’une forteresse
aussi vaste et impressionnante que la salle du trésor bâtie à Siscia. Ses
citoyens auraient donc fort bien pu, eux aussi, se mettre à l’abri et
barricader tous leurs biens, mais un voyageur plus rapide que notre armée les
avait probablement informés de l’échec de leurs compatriotes à empêcher notre
pillage. La ville, résignée, nous laissa donc entrer sans opposition ni
entraves, et nous pûmes nous servir dans les provisions et marchandises dont
nous avions besoin. Elle disposait aussi de distractions en grand nombre –
thermes, filles de lupanars, auberges à vin et noctiluca des rues –
mais nous ne dénichâmes pas de juteux trésors en or, bijoux ou pierreries.
Naguère, la cité avait été mise à sac par nos compatriotes les Wisigoths d’Alaric,
avant de l’être à nouveau, un peu plus tard, par les Huns d’Attila, et jamais
plus elle n’avait retrouvé son opulence originelle.
Théodoric, Freidereikhs et moi, ainsi que les officiers de
haut rang, logeâmes dans la forteresse perchée sur la colline, où nous
bénéficiâmes d’un certain confort. Il n’en alla pas de même pour nos hommes,
englués dans l’atmosphère pestilentielle des basses terres ; mais
Théodoric avait été contraint de choisir entre deux maux. Jusqu’à la frontière
de la Vénétie, notre progression allait s’effectuer sur des terres basses, et
il avait estimé qu’il valait mieux laisser l’armée en campement fixe autour
d’Aemona plutôt que de se traîner d’un pas lourd dans l’étouffante chaleur
estivale. Nous nous attardâmes donc presque un mois
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