Théodoric le Grand
étions, mais deux d’entre
elles au moins – celles d’une exceptionnelle beauté que s’étaient
appropriées Théodoric et le jeune Freidereikhs – furent littéralement
charmées d’être les compagnes de lit temporaires de véritables rois, qui plus
est de rois conquérants. Et au cours de leur brève carrière de « reines »,
elles livrèrent volontiers d’utiles informations sur les régions
environnantes :
— En suivant la Via Postumia, à vingt milles d’ici vers
l’ouest, vous arriverez à Concorzia. (Elle voulait évidemment dire Concordia.)
Autrefois, ce fut une garnison et une fabrique d’armes pour l’armée romaine.
Depuis que les Huns l’ont ravagée, il n’en subsiste que des ruines, mais c’est
resté un important carrefour routier. Vous y trouverez une autre excellente
voie romaine partant vers le sud-ouest…
C’est ainsi que lorsque notre armée quitta finalement
Aquileia et que nous atteignîmes les ruines de Concordia, Théodoric, qui venait
de mander aux avant-postes un centurion de cavalerie pour lui communiquer ses
ordres, fut en mesure de lui indiquer :
— Centurion Bruno, cette bifurcation à gauche est une
branche de la Via Aemilia. Tandis que le gros de la troupe se dirigera sur
Vérone, vous et votre centurie de cavaliers allez prendre cette route. Je sais
de source sûre que vous ne rencontrerez pas d’opposition en chemin. Après avoir
traversé les rivières Athesis [87] et Padus [88] , vous arriverez à Bononia [89] ,
où cette bretelle rejoint la branche principale de la Via Aemilia. Vous
posterez vos hommes autour de la ville, et surveillerez autant que possible
tous les accès à cette route, du nord comme du sud. Si Odoacre tentait de
communiquer avec Rome ou Ravenne, pour demander des renforts ou pour toute
autre raison, ses messagers de Vérone seront forcés d’emprunter ce passage. Je
veux que ces éventuels messagers soient interceptés, et que l’on m’apporte à
bride abattue toute dépêche dont ils seront porteurs. Habdi ita swe.
À cent milles romains à l’ouest de Concordia, notre armée
atteignit Vérone. Cité ancienne et de belle allure, elle avait eu la chance de
ne pas être trop malmenée par les guerres antérieures. Bien qu’Alaric ait
parcouru la région à maintes reprises, il avait été bien assez occupé par une
bataille ou une autre pour lui faire subir de grandes déprédations. Pour leur
part, les Huns d’Attila, lors de leur campagne en Vénétie, s’étaient arrêtés à
quelque distance de la cité. Le dernier siège subi par la ville avant notre
arrivée remontait donc à Constantin, près de deux siècles auparavant. Et Vérone
n’était guère préparée à en soutenir un.
La ville était effectivement solidement fortifiée, encerclée
sur deux des trois côtés par les flots turbulents de la rivière Athesis, et
accessible par une seule et unique porte par flanc, percée dans les hautes
murailles. Il se trouve que les empereurs romains du passé, en raison de
l’affection et de l’admiration qu’ils vouaient à la beauté de la cité, avaient
décidé de la rendre aussi attractive de l’extérieur qu’elle l’était à
l’intérieur. Sans considération pour ce qu’avaient été jadis ses portes
d’entrée – probablement de menaçants portails flanqués de tours massives
et de contreforts dissuasifs –, ces augustes bienfaiteurs les avaient
remplacées par de grandioses arcs de triomphe aussi finement ciselés
qu’ornementés, bâtis en pierre et somme toute assez robustes. Mais il était
absolument impossible d’adapter une porte réellement inexpugnable sur un
monument décoratif de ce type. Une robe fantaisie ne fera jamais qu’une piètre
armure.
Les trois entrées étaient donc vulnérables, mais Théodoric
indiqua que seul le portail central de la ville serait assiégé. Nos onagres et
nos balistes furent donc dirigés sur cet objectif, et nos archers commencèrent
à faire pleuvoir leurs flèches sur les troupes garnissant le parapet de la
muraille. Tout comme il avait laissé, à Andautonia, une échappatoire à ses
adversaires, Théodoric n’attaqua pas les deux autres portes de Vérone (qui
ouvraient sur deux ponts enjambant l’Athesis), laissant ainsi aux hommes
d’Odoacre la possibilité de fuir dès qu’ils jugeraient leur défaite
inéluctable. Il se contenta de dépêcher à la sortie de ces deux portes quelques turmae de cavalerie, afin de presser les fugitifs au
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