Théodoric le Grand
que
celle dont nous nous étions contentés jusqu’ici. Puis je repris ma route. Je
traversai Prista, avec ses tanneries, ses fabricants de teinture, ses
briqueteries, ses tuileries et ses poteries, mais je ne m’y arrêtai point.
J’atteignis enfin Novae, la ville de Théodoric. Depuis tout
ce temps que j’avais quitté la cité, il s’était passé tant et tant de
choses – certaines bien peu agréables au souvenir, comme l’épisode
doux-amer, hélas trop fugitif, de mon intimité avec Amalamena et sa tragique
issue –, que j’avais l’impression d’en être parti depuis des années, des
décennies, voire bien davantage encore.
*
— Thorn est vivant ! La rumeur disait vrai !
Telles furent les paroles de joie que prononça Théodoric au
moment où je pénétrai dans la salle du trône où j’avais vu Amalamena pour la
première fois. J’avais dû être reconnu en entrant dans Novae, et la nouvelle de
mon retour m’y avait précédé. À côté du roi, quatre autres personnes
attendaient de me souhaiter la bienvenue.
Lorsque je levai mon bras pour le raide salut goth,
Théodoric me l’abaissa en riant. Nous nous serrâmes le poignet droit à la
manière plus directe et conviviale des Romains, nous exclamant presque en même
temps : « Qu’il est bon de te revoir, mon cher vieil
ami ! »
Deux des hommes présents levèrent à leur tour le bras pour
me saluer, un troisième s’inclina gravement, et une jeune femme me sourit timidement.
Tous firent chorus pour me souhaiter chaleureusement la bienvenue, en écho à
Théodoric : Waíla-gamotjands !
— Ma parole, dis-je en m’adressant au roi, tu
sembles avoir convié ici presque toutes les personnes en rapport avec cette
mission.
L’homme entre deux âges qui m’avait salué était mon camarade
et alter ego le Saio Soas. L’homme plus âgé qui avait incliné la
tête était quant à lui le lekeis Frithila. Le visage de l’autre jeune
homme m’était inconnu, mais je pensai qu’il s’agissait du lancier Augis,
compagnon du regretté Odwulf. C’était sûrement lui, à en juger par le regard
effaré dont il m’enveloppait comme si j’avais été le fantôme ressuscité de
Thorn ou un skohl à son effigie… C’était ce même Augis que j’avais
envoyé annoncer ma mort à Théodoric.
— Le seul que tu n’aies pas convoqué, finalement, c’est
Ocer, l’ optio de Strabo. C’est que je tiens à récupérer mon épée.
— Elle t’attend, accrochée dans tes appartements. L ’optio, lui, est depuis longtemps ad patres. Augis a été clair en
transmettant tes ordres. Crois-tu que j’y aurais dérogé ?
— Thags izvis, fis-je simplement en guise
d’approbation.
— Nous veillerons à reconstituer ton équipement sans
tarder. Mais d’abord, laisse-moi te féliciter, laisse-moi chanter tes louanges,
même, pour l’éclatant succès de ta mission. Tu t’es comporté en véritable
Ostrogoth, en maréchal exemplaire, en digne herizogo. Mais les échos de
tes faits et gestes ne nous sont parvenus que de façon tronquée, par petits morceaux.
Il faut que tu nous racontes toute l’histoire, que tu remplisses les vides.
Commence donc par nous expliquer – en particulier à ce brave Augis, qui
n’en revient pas – par quel miracle tu n’as pas été tué.
J’ouvris les bras en signe de triste résignation et
dis :
— Ne, j’aimerais d’abord exprimer ma douleur
pour ceux qui l’ont été. L’ optio Daila ainsi que tout le reste de ma turma, hormis le valeureux Augis ici présent. J’espère que le succès de la mission
était digne de ces déplorables pertes. Mais de toutes ces disparitions, celle
qui m’a fait le plus souffrir est celle de ta sœur, Théodoric. Je m’étais en
effet attaché à elle, plus encore que toi peut-être.
— Jamais je n’aurais dû te confier une telle
responsabilité, admit-il d’un air contrit. Mais j’ignorais le mal dont elle
souffrait. Frithila m’a bien sûr expliqué de quoi il s’agissait… et m’a
clairement fait comprendre que nul mortel n’eût été en mesure de l’aider.
— Autant que je l’ai pu, fis-je, j’ai tenté de la
soulager comme me l’avait recommandé le lekeis. J’ai essayé de lui
alléger l’esprit.
— Elle est morte avec courage, j’imagine, continua
Théodoric.
Et c’était dans sa bouche plus une affirmation qu’une
question. Travestissant à peine la vérité, je répondis :
— Ja, elle a
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