Théodoric le Grand
assez fidèle à celle que
j’ai relatée ici, mais en omettant certains épisodes, par exemple les détails
horribles relatifs à la maladie d’Amalamena. Pour expliquer le fait que je sois
encore en vie, je dus me résoudre à ne pas apparaître comme un héroïque
guerrier combattant jusqu’à la mort. J’affirmai que le décès d’Amalamena était
intervenu à Pautalia, que l’ optio Daila et moi-même l’avions secrètement
inhumée sur place sans en faire état auprès de nos compagnons, et que dès lors,
la servante khazar avait pris place, seule, dans la carruca. Je racontai
comment la trahison de l’un de nos archers nous avait incités, Daila et moi, à
dévier notre route pour suivre le cours de la rivière Strymon, jusqu’au sombre
défilé où à la faveur de la nuit, les forces de Strabo avaient fondu sur nous.
J’avais alors combattu aux côtés de mes hommes, affirmai-je, sachant qu’Augis,
alors en haut de la falaise, ne risquerait pas de contredire ma version.
Je m’étais alors rendu compte, expliquai-je, que le combat
était perdu d’avance, et ayant vu les hommes de Strabo extraire la servante
khazar de la carruca, je résolus d’opérer ma métamorphose. Rejetant mon
armure, qui proclamait fièrement mon rang et mon identité, j’avais revêtu celle
d’un guerrier de taille modeste tué lors de l’échauffourée. Réussissant à me
propulser aux côtés de la servante, j’avais eu juste le temps de lui glisser à
voix basse quelques instructions, ainsi que la chaîne de la princesse que je
lui demandai de passer à son cou. Ainsi, lorsqu’elle avait comparu devant
Strabo et annoncé qu’elle était Amalamena, celui-ci l’avait crue.
— Jamais il n’en a douté, du premier jour jusqu’au
dernier, ajoutai-je. Cela ne l’a pourtant pas empêché d’abuser d’elle
honteusement, en violation de toutes les conventions de l’honneur et de la
guerre. Tu peux bénir le ciel, Théodoric, que ce n’ait pas été notre
Amalamena ! Deux nuits à peine après sa capture, bien avant qu’il n’envoie
Ocer réclamer la rançon, Strabo déflora sans vergogne celle qu’il prenait pour
une princesse, et qu’il aurait dû, suivant le code militaire, garder sous sa
protection durant sa captivité.
Théodoric émit un grognement. Bien qu’il ne portât pas son
épée, il esquissa un mouvement spontané de la main en direction de sa ceinture.
Je poursuivis en racontant comment j’étais parvenu à rester
anonyme sous mon déguisement, passant inaperçu au milieu des hommes de Strabo,
choisissant même de ne point révéler ma présence aux deux hommes de ma turma qui intelligemment, avaient su se mêler à la compagnie ennemie.
— Ce n’est qu’à Serdica que je me suis présenté à
Odwulf, et que nous avons envoyé Augis au galop pour t’enjoindre de mépriser la
demande de rançon de Strabo. Dès lors, Odwulf et moi nous nous sommes arrangés,
autant que possible, pour être alternativement de garde près de la fausse
Amalamena. Nous lui indiquions ce qu’elle devait dire à Strabo et comment elle
devait se conduire en sa présence afin de continuer à le duper, à l’endormir.
Il fallait maintenir intacte l’illusion, faire en sorte qu’il ne se doute de
rien. Pendant ce temps, nous réfléchissions à la suite.
Je relatai sans m’attarder la fin de notre voyage jusqu’à
Constantiana, évoquant la croissante nervosité de Strabo suite à la disparition
d’Ocer et la brutalité grandissante avec laquelle il traitait la jeune Khazar.
— Selon ses dires, il continuait à venir abuser d’elle
toutes les deux ou trois nuits au moins, expliquai-je. Il proclamait son
intention de la prendre pour épouse, comptant sur elle pour lui donner un
héritier plus à son goût que son vaurien de fils, Recitach. Il affirmait en
outre que toi, Théodoric, tu donnerais lâchement ton accord à cette grossière
insulte, trop heureux de te retrouver, grâce à ce mariage, lié au puissant
Strabo.
Théodoric émit une terrifiante obscénité et cracha
sèchement :
— Thags Guth, ce n’était pas ma sœur. Mais peu
importe, je ferai ravaler ces mots à ce répugnant reptile.
— C’est sans doute déjà fait, continuai-je.
J’expliquai ensuite comment, craignant la colère qui
semblait vouloir pousser Strabo à mutiler la princesse, j’avais soufflé à cette
dernière l’idée de lui proposer un combat fratricide entre les tribus de
prisonniers hérules, tandis
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