Théodoric le Grand
j’atteignis enfin les rives du Danuvius, le fleuve
coupa ma route suivant un angle qui l’infléchit vers le sud-ouest, et c’est
dans cette direction que je continuai d’en remonter le cours. Ne croisant
aucune route, je ne rencontrai aucun messager. Il devait pourtant y en avoir en
train de galoper dans toutes les directions, répandant les nouvelles de
l’effroyable tuerie de Constantiana et de la mort de Strabo. J’aurais aimé
entendre les messages qui circulaient, quelle qu’en fut la provenance :
ceux de Zénon, de Recitach, ou de tout autre personnage important concerné. Cependant,
je ne me plaignais pas de demeurer à l’écart des routes trop fréquentées, car
vraisemblablement, des patrouilles avaient été lancées à la recherche de la
« princesse Amalamena » brusquement disparue.
En suivant la rivière, je fis donc peu de rencontres de
voyageurs à pied, mais je n’étais pas seul à me déplacer. Des bateaux – un
navire marchand, une barge à la dérive, un bateau de pêche, ou un rapide dromo de la flotte mésienne – voguaient sur les flots du Danuvius : qu’ils
arpentent son cours placidement ou sur un rythme plus soutenu dû à leurs
activités commerciales, ils semblaient tout ignorer des convulsions civiles et
militaires agitant les peuples riverains.
Le Danuvius s’orienta peu à peu vers l’ouest, et me mena à
Durostorum [19] , ville fortifiée romaine qui est aussi un port
fluvial pour les navires marchands, et une base d’approvisionnement de la
flotte mésienne. J’avais quitté la province de Scythie pour retrouver la Mésie
Supérieure, censée faire partie des territoires de Théodoric. La garnison
locale abritait la Première Légion d’Italie, qui dépendait, en dépit de son
nom, de l’Empire d’Orient dirigé par Zénon. La troupe était composée pour
l’essentiel d’étrangers – Ostrogoths, Alamans, Francs, Burgondes, ou membres
des autres tribus germaniques – qui se considéraient avant tout comme de
purs « légionnaires romains » ; les Ostrogoths, quant à eux, ne
revendiquaient d’attachement affirmé ni pour Théodoric, ni pour Strabo.
N’ayant jamais croisé un voyageur arrivant du nord, ils me
prirent pour un messager venu de Scythie et m’escortèrent dans le praetorium auprès du commandant en chef Celerinus, homme apparemment très compétent, natif
d’Italie, un véritable Romain. Sans hésiter, il m’identifia lui aussi comme un
messager en mission et me reçut cordialement. Aussi lui transmis-je le seul
message que je pouvais délivrer : Thiudareikhs Triarius était mort, et son
port sur la mer Noire était sens dessus dessous. Celerinus, vieux soldat
blanchi sous le harnais, était habitué aux plus incroyables nouvelles, ou
savait ne montrer en de telles occasions que très peu d’émotion. Il se contenta
de hausser les sourcils en remuant la tête. Puis, très poliment, il me donna à
son tour les dernières nouvelles venues de l’ouest, qui me remplirent de joie.
Thiudareikhs l’Amale, mon Théodoric, avait signé un
avantageux traité avec Zénon. Silencieusement mais avec ferveur, je remerciai
les dieux ; Swanilda avait pu rejoindre Théodoric avec le pacte, et Zénon
ne pouvait plus l’abroger. Sur quoi Celerinus avait envoyé à Singidunum un
détachement significatif de sa Légion d’Italie, et Théodoric leur avait
officiellement cédé les clés de la cité, à charge pour Zénon d’y acheminer
rapidement d’autres troupes, afin de mieux la protéger contre d’éventuelles
attaques barbares.
Pour lors, selon Celerinus, Théodoric avait rallié Novae,
dans le but de regrouper et disposer ses soldats ostrogoths pour la défense de
ces terres de Mésie que désormais plus personne ne songeait à lui contester. On
s’attendait à ce que Théodoric assurât la charge que lui avait confiée
Zénon : celle de magister militum praesentalis, commandant en chef
de toutes les forces armées, y compris la Légion d’Italie, chargées de défendre
la frontière danubienne de l’Empire. Celerinus se réjouissait d’avance –
et il semblait sincère – de pouvoir bientôt prêter serment à son nouveau
général en chef.
Je passai la nuit, ainsi que les deux jours et nuits
suivants, dans cette ville de Durostorum, afin de profiter des rafraîchissantes
eaux de ses thermes et de me reposer avec Velox dans de confortables
appartements, tout en savourant une alimentation un peu moins rudimentaire
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