Théodoric le Grand
reviens m’en avertir.
Je me conformais de façon pointilleuse à ces ordres, mais
comme il n’avait aucune mission plus spécifique à me confier, je vagabondais où
bon me semblait. Je trouvais toujours que voyager valait la peine, mais
j’appréciais aussi maintenant le bonheur de rentrer chez moi, sensation que je
n’avais jamais éprouvée jusque-là.
Comme je continuais depuis longtemps à ressentir
douloureusement la perte d’Amalamena – ou, pour être honnête, la
frustration hélas éternelle que mon désir n’ait pas été payé de retour par
cette séduisante nymphe –, je n’éprouvais aucune envie de m’établir avec
une partenaire, qui m’aurait tenu compagnie dans ma retraite campagnarde. En
fait, je devais continuellement repousser les efforts opiniâtres que faisait
Dame Aurora pour me présenter à différentes femmes célibataires de la cour de
Novae, depuis de nobles veuves jusqu’à la jolie cosmeta Swanilda. Pour
cette raison, et un peu aussi parce que l’on attend d’un maître qu’il manifeste
de façon impérieuse son droit de possession sur ses esclaves, je réchauffai
occasionnellement mon lit de la compagnie d’une esclave femelle.
Mon personnel étant fort nombreux, j’en essayai plusieurs,
mais seules deux d’entre elles s’imposèrent par leur charme et leur attrait, au
point que je fasse assez régulièrement appel à elles. Naranj, la femme de mon
meunier, était originaire du peuple alain, et possédait des cheveux
exceptionnellement longs, noirs comme la nouvelle lune. Renata, une jeune
Suève, fille de mon sommelier, avait elle aussi une longue chevelure, dont la
teinte or argenté me rappelait celle d’Amalamena. Je me souviens de leurs noms,
je me souviens de leur somptueuse chevelure, et aussi de la manière dont toutes
deux, la femme comme la fille, cherchaient à me donner du plaisir pour me
montrer à quel point elles appréciaient d’avoir été distinguées. Mais lorsque
j’en reparle aujourd’hui, c’est tout ce qui me revient d’elles.
En effet, l’autre versant de ma nature avait aussi besoin
d’être comblé. En tant que Veleda, j’aspirais à effacer le souvenir de
l’abominable Strabo, et les odieuses insultes qu’il avait faites à ma personne.
Dans le même temps, le fait d’avoir farouchement nié ma féminité chaque fois
qu’il abusait de moi me poussait à présent à me rassurer sur l’existence de ma
sexualité féminine. J’aurais très bien pu la tester en disposant d’un ou deux
de mes esclaves mâles ; je possédais une véritable écurie de vigoureux
étalons passablement attirants. Mais ce type d’expédient m’aurait à nouveau
entraîné dans une complexe jonglerie de déguisements que je préférais éviter.
J’utilisai donc une part des revenus de mon exploitation
pour acheter et meubler, sous l’identité de Veleda, une petite maison à Novae.
Je devais faire preuve de la plus grande discrétion lorsque je m’y rendais, et
de la même vigilance quant à ma façon d’aborder ceux que j’avais jugés dignes
de partager avec moi (pour une heure, une nuit ou davantage) ce sanctuaire. En
effet, Novae était une bien plus petite ville que Vindobona par exemple, où j’avais
joué le rôle de Veleda, ou que Constantia, où j’avais été Juhiza. Il n’était
pas question, à Novae, de risquer de me faire remarquer, et de prêter le flanc
aux commérages et aux interrogations du style : « Mais qui est cette
nouvelle venue ? Et d’où vient-elle ? Et que vient-elle faire
là ? »
Je veillai ainsi à ne jamais approcher de trop près un
militaire de haut rang, auquel le maréchal Thorn risquait d’être un jour
confronté, ni des familiers de Théodoric, notables et autres membres de la
haute société, que j’aurais pu rencontrer par hasard à sa cour.
Je pris bien sûr plaisir à constater que j’exerçais toujours
un indéniable attrait auprès des hommes, que je pouvais les séduire, les
fasciner, et que tout ce qui caractérisait ma féminité – sensations,
émotions, sécrétions – était intact. Mais aucun de mes partenaires de lit
à Novae ne m’inspira jamais l’affection et l’appétit charnel que j’avais
ressenti pour mon premier amant, Gudinand, connu à Constantia. Je ne les gardai
d’ailleurs pas bien longtemps, délaissant en particulier très vite ceux qui
tombaient stupidement amoureux de moi, et me suppliaient de prolonger notre
relation.
Je ne regrette nullement
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