Thorn le prédateur
position. Car en plus d’être citoyens romains, ils sont aussi
de bons chrétiens. Ils ne s’accouplent donc que pour procréer, et non par
plaisir. De plus, toute femme décente se doit de garder pendant ces moments-là
au moins un de ses sous-vêtements.
— Ah bon ? Et pourquoi cela ?
Wyrd piaffa.
— N’étant pas Helvète, ni chrétien, encore moins une
femme décente, je l’ignore. Maintenant suis-moi, gamin. Nous avons nous aussi
gagné le droit de nous abandonner à quelques délices. Je connais par ici un
confortable deversorium où nous pourrons nous payer chacun une chambre.
Dès que nos chevaux seront déchargés et installés à l’écurie, nous irons
visiter les thermes de Constantia. Et après cela, une taverne qui ne m’a jamais
déçu.
Le deversorium était aussi richement équipé que bien
tenu. En plus d’une chambre individuelle, nous eûmes droit à une pièce où nous
pûmes entreposer nos fourrures. Je disposais cette fois encore d’un lit perché
sur des pieds, et ma chambre était dotée d’un cabinet de toilette muni d’une
malle pouvant contenir mes affaires personnelles, et d’un lieu d’aisances
privatif. L’écurie de l’établissement était aussi propre que les logements
destinés aux humains, et dans chaque stalle, le cheval avait droit à la
compagnie d’une petite chèvre, afin qu’il ne souffre pas d’ennui.
Au sortir du bain, où nous nous étions voluptueusement
prélassés et délassés, Wyrd me précisa :
— Dans les bois, gamin, nous étions des chasseurs.
Maintenant, nous sommes devenus des marchands. Et la taverne où je t’emmène est
le rendez-vous favori des marchands itinérants que nous sommes.
Nous y prîmes aussi notre temps, savourant la chair du
poisson blanc nommé corogenus, et nous grisant du capiteux Staineins que
l’on versait dans nos cornes. Pendant que nous nous attardions ainsi à table,
plusieurs négociants arrivèrent et repartirent, et Wyrd parvint à m’indiquer la
région native de tous ceux que je n’avais pu identifier. Ayant déjà fréquenté
des gens des nationalités germaniques, j’avais reconnu un Burgonde, un Franc,
un Vandale, un Gépide et un Suève, même si tous avaient une apparence semblable
et s’exprimaient de façon similaire. Je reconnus aussi trois Juifs, assis
ensemble, et quelques Syriens aux yeux fuyants, placés le plus loin possible
les uns des autres. Mais d’autres m’étaient totalement inconnus.
— Ce type aux apparences un peu frustes, installé
là-bas dans un coin, dit Wyrd. D’après son accent lorsqu’il a commandé, je
gagerais qu’il est originaire d’une tribu germanique appelée les Rugii [64] ,
qui vivent sur la côte de l’Ambre, près de la baie de Poméranie, très loin vers
le nord. Si c’est le cas, notre homme doit être plus riche qu’il en a l’air,
car il vend sans doute de la gemme d’ambre. Quant au gros homme assis juste
derrière nous, avec son énorme tignasse de cheveux blonds, c’est un de tes
cousins goths. Un Ostrogoth de Mésie, si je ne m’abuse, et…
— Comment cela ? fis-je, surpris. Un marchand
goth ?
— Eh bien oui, pourquoi pas ? Il faut bien qu’un
peuple guerrier assure sa subsistance, en temps de paix. Le colportage paie du
reste parfois bien mieux que le pillage.
— D’accord, mais qu’ont-ils à colporter ? Ils ne
vont pas vendre ce qu’ils ont volé aux autres nations, tout de même !
— Pas nécessairement. Par les seins coupés de sainte
Agathe, gamin, tu ne crois quand même pas que tous les Goths sont de voraces
sauvages ? T’attendais-tu à le voir vêtu de peaux ensanglantées, et les
têtes fraîchement arrachées de quelques jeunes filles pendant à sa
ceinture ?
— Ma foi… j’admets ne connaître les Goths que de
réputation. Mais j’ai lu les historiens romains. Ils racontent tous que les
Goths aiment l’oisiveté, et détestent la paix. Tacite affirme même qu’ils
dédaignent gagner par un honnête labeur tout ce qu’ils peuvent acquérir en
versant le sang d’autrui.
— Humpf ! Calomnie typique des Romains
envers tout ce qui n’est pas de Rome, fit Wyrd en haussant les épaules. Aucun
Romain n’admettra jamais qu’il a appris des Goths le fait de se laver au savon
plutôt qu’à l’huile d’olive. Ou qu’il leur doit la culture du houblon. On dira
peut-être que ce ne sont que de mineures contributions à la civilisation, mais
elles n’en sont pas moins là.
Je
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