Thorn le prédateur
mais ils formaient un groupe un
peu à l’écart de Jaerius. C’est tout à fait ce que à quoi je m’étais attendu.
J’avais en effet remarqué que depuis le combat de l’ordalie, l’ensemble des
habitants de Constantia avaient tacitement décidé de tenir comme en quarantaine
le fils du légat, évitant tout contact avec lui. Même les gredins dans son
genre le fuyaient, et il était fort probable que seuls sa mère, son père et
peut-être le prêtre arriviste, lui avaient depuis lors prodigué ne serait-ce
qu’un mot ou un regard amical.
Jaerius était donc assis seul, nu à l’exception de sa main
droite bandée, et ruminait apparemment de sombres pensées, l’air morose. Aussi
me toisa-t-il d’un air profondément étonné lorsque je vins m’asseoir à ses
côtés et me présentai comme étant « Thorn, un de vos fervents admirateurs, clarissimus Jaerius ». Il aurait pu être, me direz-vous,
passablement surpris de se trouver ainsi abordé par quelqu’un ayant
sensiblement le même âge et la même physionomie que Juhiza. Mais il n’avait
aperçu celle-ci que dans une obscurité quasi totale lorsqu’il l’avait étreinte
dans le buisson, et dans la discrète pénombre qui régnait dans l’église où
s’était réuni le tribunal. De plus, il était évident que j’étais un homme,
puisque je l’abordais dans un des thermes réservés aux hommes, n’était-ce pas
logique ? Je suis sûr qu’il fut surtout interloqué d’avoir enfin quelqu’un à qui parler, lui qui était devenu une notable persona non grata.
— Clarissimus , lui dis-je, vous ne me connaissez
pas, car je ne suis que l’apprenti d’un marchand de passage, et nous ne sommes
pas là depuis bien longtemps. Il n’en reste pas moins que j’ai une dette envers
vous.
— Une dette, quelle dette ? demanda-t-il d’une
voix rauque, se reculant légèrement sur son siège pour s’éloigner de moi.
Il me sembla d’emblée affolé à l’idée que je puisse être un
quelconque parent éloigné de Gudinand, et que la dette en question soit de
celles qu’on n’avait guère envie de voir honorées.
Je me hâtai de préciser :
— Grâce à vous, j’ai gagné une somme considérable, à
l’occasion d’un pari. Considérable au vu de ma situation, tout du moins.
Voyez-vous, j’étais parmi les spectateurs dans l’arène, l’autre jour, et j’ai
parié sur vous toutes mes économies, jusqu’à mon dernier nummus.
— Vraiment ? hasarda-t-il, l’air encore
circonspect. Je n’aurais jamais cru que qui que ce soit ait songé à le faire.
— C’est pourtant ce que j’ai fait. Et ça m’a valu des
gains considérables.
— Eh bien ça, je veux bien le croire, admit-il le
regard morne.
— C’est pourquoi, en reconnaissance de ce que vous avez
fait gagner au modeste apprenti que je suis, j’ai voulu vous offrir une
récompense. Je sais, bien sûr, clarissimus, que jamais vous n’accepterez
une pars honorarium [73] . Aussi vous ai-je apporté un
cadeau.
— Hein ?
— J’ai dépensé une partie de mes gains pour vous
acheter une esclave.
— J’en ai tant qu’il m’en faut, des esclaves, merci,
apprenti.
— Pas des comme celle-ci, clarissimus. Une jeune
vierge, juste assez mûre pour en savourer la chair sous le fruit.
— Merci encore, mais des fruits comme ça, j’en ai
savouré pas mal.
— Pas des comme celui-ci, répétai-je. Cette enfant est
non seulement vierge, non seulement belle, mais elle est noire. Une jeune Éthiopienne.
— Tiens donc…, murmura-t-il, et sa face mélancolique
s’illumina. Je n’ai encore jamais couché avec une Noire.
— Vous allez pouvoir vous rattraper à l’instant, si le
cœur vous en dit. J’ai pris la liberté de l’introduire dans le bâtiment. Elle vous
attend, déjà nue, dans l’ exedrium numéro trois, à côté du hall d’entrée.
Ses yeux se rétrécirent.
— Ne seriez-vous pas en train de vous moquer de
moi ?
— Je n’ai pas d’autre ambition que de vous remercier, clarissimus. Vous n’avez qu’à y aller voir. Si ce que vous voyez ne vous plaît pas… je
vous attendrai ici. Vous n’aurez qu’à revenir, et me dire que vous déclinez
l’offre.
Jaerius semblait encore méfiant, mais sa soif de stupre
s’était réveillée. Il se leva, drapa une serviette autour de ses hanches et
déclara :
— Attends-moi là, apprenti. Si je ne reviens pas
immédiatement pour t’étrangler comme le mystificateur que
Weitere Kostenlose Bücher