Thorn le prédateur
coupai-je, que nous n’aurons pas à
séjourner trop longtemps ici, à perdre notre temps à toutes ces distractions ou
à faire nos dévotions. Quand Zénon a-t-il l’intention de me recevoir ?
— Mais… très bientôt, bien sûr. Vous en serez avisé
suffisamment à l’avance pour que vous puissiez préparer l’entrevue.
— Préparer ? Préparer quoi ? Je suis prêt à
l’instant même.
— Oukh, pas du tout. Pas du tout. Il y a des
formalités à observer. Vous serez prévenu au moins un jour avant l’audience,
afin de pouvoir jeûner.
— Jeûner ? Mais je ne vais pas recevoir la Sainte
Communion.
— Hum… Donc, ce jour-là, vous serez conduit jusqu’à
l’antichambre pourpre, où l’on aura exposé vos cadeaux à l’empereur. Tandis que
vous avancerez vers le trône, étant ambassadeur, vous ne serez pas obligé de
vous mettre en proskynèse. Vous vous agenouillerez simplement devant lui, et…
— Pardon, l’eunuque ! l’interrompis-je durement.
Je ne suis pas un de ces humbles solliciteurs venus se lamenter et
cajoler !
— En êtes-vous si sûr ? répliqua-t-il sans
sourciller. Au cours de ma longue carrière de chambellan, je n’ai vu arriver
que deux sortes d’émissaires de l’étranger : ceux porteurs d’une
déclaration de guerre à l’empereur, et ceux venus lui réclamer une faveur.
Êtes-vous venu déclarer la guerre ?
Je restai coi l’espace d’un instant, d’une part à cause de
la violente colère que je ressentais, mais aussi parce que j’avais capté le
regard amusé d’Amalamena, lequel me rappelait que oui, j’étais bel et
bien là pour obtenir quelque chose de Zénon. Myros en profita pour continuer
son discours :
— Peu après le début de cette génuflexion, l’empereur
vous fera relever. Vous le saluerez alors au nom de Théodoric, et prenez bien
garde de ne pas le qualifier comme son cousin, ou son frère. Tous les monarques
inférieurs sont ses fils. L’empereur vous remerciera, vous et Théodoric, de vos
cadeaux. Il vous annoncera alors quel jour vous pourrez revenir au Palais de
Pourpre pour discuter du sujet qui vous amène.
Le chambellan réprima un ostensible bâillement devant mon
visage.
— Que ce soit la guerre, ou autre chose.
Je finis par répondre, les dents serrées :
— Puisque vous nous avez si bien espionnés depuis le
début de notre voyage, vous devez savoir la raison de ma venue.
— Ne l’ayant jamais fait, je l’ignore complètement,
répondit Myros avec une indifférence très affectée. Nos katáskopoi vous
ont seulement repérés dans la Vallée des Roses. Je ne sais même pas d’où vous
veniez.
— J’expliquerai donc tout cela à l’empereur Zénon, et
pas plus tard que demain. Ce qui m’amène est urgent. Je m’agenouillerai, si sa
vanité l’exige vraiment, mais je ne suis pas prêt à attendre. Veillez donc,
l’eunuque, à ce que les formalités et autres délais inutiles soient supprimés.
— Ce serait bien la première fois que l’on verrait une
chose pareille.
— Eh bien vous la verrez. Et vous allez donner à Zénon
un avant-goût du message que je lui apporte. Théodoric s’est emparé de la ville
détenue auparavant par les Sarmates, celle de Singidunum. Il la tient
fermement. Il est en mesure de la conserver. Il peut s’en faire une base
d’opérations solide, de laquelle il lancerait des incursions soit vers l’Empire
d’Occident, soit vers celui d’Orient.
— Je n’en crois rien ! s’exclama Myros.
Singidunum, entre les mains de Théodoric ? Nous en aurions entendu
parler !
— Je pensais que vos espions et les lumières de votre
phare n’ignoraient rien… Quoi qu’il en soit, je suis ici pour affirmer qu’il y
a moyen de persuader Théodoric de céder cette place hautement stratégique à
l’Empire. Soit au très auguste Zénon, soit au moins auguste Romulus. Tout
dépendra lequel des deux offrira le meilleur prix pour l’octroi de cette ville,
et dans les meilleurs délais. Allez, maintenant. Dites cela à Zénon. Et
dites-lui que j’attends d’être reçu dès demain. Allez !
Je tournai les épaules à l’eunuque pour entrer dans la cour,
tenant Velox par la bride et le faisant passer devant lui de manière à ce qu’il
soit contraint de faire un saut de côté pour préserver ses orteils des sabots
du cheval. Je me retournai pour ajouter :
— Et n’oubliez pas, en chemin, de m’envoyer ce iatrós Alektor dont vous m’avez
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