Thorn le prédateur
préfères, tu en as été un dès ta naissance. Seulement, d’après
ce que j’ai pu saisir de ces pages, ce frère a gentiment tenté une petite
opération de chirurgie sur toi. J’entends par là qu’il a procédé à quelques
ajustements mineurs de tes, euh… parties intimes. Et son intervention t’a
permis, pour autant que je puisse en juger, d’éviter une vie de souffrances et
d’inconfort, voire une difformité proche de l’infirmité.
— Je ne comprends pas, Nonnus.
— Moi non plus. Pas entièrement, en tout cas. Ou
le Frère Chrysogène était grec de naissance, ou bien il a délibérément choisi
la discrétion, car son rapport a été établi en grec. Je peux en capter quelques
bribes, par exemple le mot « cordon », mais leur sens médical exact
m’échappe.
— Frère Hormisdas ne pourrait-il vous les
expliquer ?
L’abbé eut l’air gêné.
— J’aimerais mieux l’éviter. Hormisdas est
indéniablement un médecin consciencieux. Il pourrait souhaiter te garder ici.
Comme sujet d’étude… ou d’expérimentation… voire d’exhibition. Qui sait ?
On a déjà vu certains monastères accroître leur notoriété, et par là même leur
fortune, rien qu’en attirant les pèlerins par la promesse de… ce qui pourrait
s’apparenter à un signe miraculeux.
— En somme, je suis un monstre ! résumai-je,
abrupt.
— Quoi qu’il en soit, je préfère t’épargner cette
indignité, mon enfant. Nous ne demanderons pas à Frère Hormisdas de traduire ce
rapport. Que ma tentative d’interprétation te suffise. Frère Chrysogène précise
qu’il a pratiqué une « légère incision » qui lui a permis d’extraire
la « bande de sustentation » qui maintenait ton, euh… organe
principal anormalement courbé. Comme je te l’ai dit, Thorn, tu as tout lieu
d’être reconnaissant envers ce brave homme.
— C’est tout ce qu’il a écrit à mon sujet ?
— Pas tout, non. Il poursuit en certifiant que bien que
tu sois muni de… l’équipement externe de l’homme comme de la femme, tu ne
pourras jamais avoir d’enfant. Tu ne pourras ni en faire, ni en porter.
— Je suis bien heureux de l’apprendre, marmonnai-je.
Cela m’évitera de reproduire un être tel que moi sur cette terre.
— Mais cela t’imposera une contrainte nouvelle, Thorn.
Et une lourde. Tout comme les gens mangent pour assurer leur survie, ils ne se
marient que dans le but de perpétuer la race humaine. C’est la seule raison
pour laquelle notre Mère l’Église tolère les relations sexuelles. Comme tu ne
peux avoir d’enfants, tout contact charnel avec une autre personne
constituerait pour toi un péché mortel. Et ce, bien sûr, quel que soit son
sexe. L’innocence juvénile qui a pu caractériser ton comportement antérieur
t’absout rétrospectivement de toutes les fautes que tu as pu commettre
jusqu’ici. Mais à partir de ce jour, instruit de ta situation réelle, tu dois
résolument t’en tenir à un célibat total.
Tentant de plaider ma cause comme l’eût fait une femme,
j’avançai :
— Mais Dieu doit avoir eu une raison de faire de moi un mannamavi ! N’est-ce pas, Nonnus Clément ? Quelle était
son intention à mon égard ? Que suis-je censé faire de ma vie ?
— Ma foi… Il me semble que la Mishnah des Juifs
contient certaines règles régissant la vie sociale et religieuse des mannamavi. Malheureusement, nos propres écritures ont omis de traiter le sujet. Malgré
tout… laisse-moi te suggérer quelque chose. Ton travail en tant qu ’exceptor à mon service a mis en lumière des dispositions prometteuses, Thorn, lorsque
nous pensions tous que tu étais un homme. Il va sans dire qu’un exceptor ou un scribe de sexe féminin ne saurait se concevoir. Mais si je puis me
permettre, il te suffirait, pourvu que ce soit en un endroit suffisamment
éloigné d’ici, de te présenter à n’importe quel abbé ou évêque en te faisant
passer pour un homme, et tu trouverais auprès de lui un emploi très
satisfaisant en tant qu’ exceptor. Il faudrait bien entendu que tu te
voues au célibat éternel, que tu évites de révéler le moindre aspect de ta…
féminité, et que tu restes attentif à ne jamais t’exposer nu, par exemple aux
latrines communes…
— Ainsi, lorsque je mourrai, glissai-je amer, je ne
laisserai pas d’autre trace que mes retranscriptions de paroles d’autrui. Et
tout au long de cette morne vie, je devrai faire une croix sur
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