Thorn le prédateur
ours de cirque déambulant un anneau dans
le nez à un ours sauvage, c’est comme mettre en parallèle un bœuf de trait et
un aurochs déchaîné. Reste ici, ouvre tes yeux et tâche d’en prendre de la
graine.
Plissant les siens, il scruta la végétation de la pente et
marmotta dans sa barbe : « Voyons, que je me souvienne… Il y en a
tant, de cavernes ! Si je ne me trompe pas, celle-ci est en pente sur une
dizaine de pas vers l’intérieur. Ja, une légère pente sur la gauche.
Cela ne me laisse pour ainsi dire qu’une étroite embrasure où tirer. Je vais me
glisser sur la droite de l’entrée. »
Il me planta là, une flèche armée au cas où, et gravit avec
précaution la pente par son travers, marchant recourbé – position dans laquelle
je me trouvais encore – de sorte que sa tête ne dépassait pas le haut des
buissons couverts de neige. N’ayant encore pu repérer l’entrée de la grotte, je
ne pouvais estimer la distance qui l’en séparait, mais je le vis nettement se
coucher derrière un buisson, fixer son regard sur sa cible, élever lentement
son arc et viser.
J’entendis dans le lointain la vibration du départ de la
flèche, puis le sifflement de sa course jusqu’à sa disparition dans
l’ouverture, où qu’elle fut. Mais je fus aussitôt ébahi de la vitesse avec
laquelle se succédèrent les traits. Avec l’agilité d’un jeune athlète, le vieil
homme tirait une à une ses flèches de son carquois, les ajustait à son arc et
elles partaient si vite que son bras droit semblait une tache floue tandis que
le gauche, agrippé à l’armature de l’arc, demeurait aussi immobile que celui
d’une statue. Je ne sais combien partirent mais la colline elle-même sembla
bientôt s’animer comme d’une convulsion outragée, tandis qu’un rugissement
effrayant s’en élevait. Même de la place sûre que j’occupais, je sursautai à ce
bruit terrible, mais Wyrd se contenta de suspendre son action et calmement,
ajusta une dernière flèche avant de se fixer en position d’attente.
Il lui fallut patienter un moment. La colline qui avait rugi
tel un volcan entra soudainement en éruption. De l’invisible grotte jaillit un
immense objet brun, un instant indistinct comme l’avait été le bras droit de
Wyrd, car noyé dans un nuage de neige et une gerbe de branchettes violemment
arrachées aux buissons alentour. Apparaissant soudain dans un hurlement, le
grand ours contrôla une glissade et dès que la neige projetée fut un peu
retombée, je pus voir qu’une flèche lui avait transpercé l’avant-bras. Il se
fixa tout droit, secouant simplement sa patte blessée tout en faisant osciller
sa tête massive d’avant en arrière, dardant des yeux rouges à la recherche de
son bourreau, et réitérant à intervalles réguliers son terrifiant défi à la
mort. Puis, bavant une écume blanche autour de ses féroces mâchoires, il se
dressa sur son arrière-train pour tenter de dominer les broussailles.
À cet instant, Wyrd visa soigneusement et tira. Bien que
cette flèche n’eût touché, pour autant que je puisse voir, que le dessous de sa
mâchoire inférieure, la gigantesque bête stoppa son grognement dans une sorte
de bêlement désespéré. Après quoi lentement, comme une vaste colonne en train
de basculer, il retomba vers l’arrière, roula sur un de ses flancs et resta
inerte, les griffes seules encore agitées d’un mouvement convulsif.
Je gravis à toute allure le flanc de la colline, en suivant
la dépression qu’avait creusée Wyrd dans la neige, autant que je le pouvais, du
moins, le dos et les muscles encore tétanisés par l’effort de la journée. Mais
quand j’atteignis l’endroit où il se trouvait toujours, caché derrière le même
bosquet, il me fit signe d’arrêter.
— J’ai déjà vu le dernier spasme d’un ours, dit-il. Et
ces mâchoires, même moribondes, peuvent t’arracher un pied.
Nous attendîmes donc que les derniers tremblements cessent,
avant d’approcher précautionneusement la montagne de fourrure brune. Mon juika-bloth vint également virevolter au-dessus de nous et inspecter l’énorme carcasse
allongée.
— Un mâle, celui-ci, murmura Wyrd. Nous ne trouverons
pas de petits dans la grotte.
Je vis alors que Wyrd n’avait pas exagéré en décrivant la
puissance d’un arc hunnique. Cette ultime flèche avait effectivement, comme je
l’avais vu, percé la mâchoire inférieure de l’ours, mais elle était allée
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