Titus
maintenant vers eux et je lui avais emboîté le pas.
Les premières flèches sont tombées devant nous. J’ai de nouveau agrippé le bras de Josèphe.
— Ils nous tueront ! lui ai-je murmuré.
Il a secoué la tête.
— Je suis juif, comme eux. Je veux seulement enterrer les miens.
— Ils ne t’écouteront pas, ils te haïssent !
Il s’est immobilisé et a crié :
— Laissez-moi donner aux morts la paix qui leur est due !
Ils ont répondu par des hurlements, et une volée de pierres a fait jaillir la terre autour de nous.
— Nous sommes tous fils de Yahvé, a repris Flavius Josèphe.
Ils ont ri, ils ont martelé leurs boucliers.
J’ai deviné qu’ils répétaient : « Tu n’es qu’un porc, fils de porc ! Maudit sois-tu, Josèphe Ben Matthias, et avec toi tous les tiens, morts ou vivants ! »
J’ai voulu retenir Josèphe, le forcer à reculer, mais j’ai eu l’impression qu’on m’arrachait le bras gauche, que mon épaule était dévorée par une brûlure qui me rongeait la nuque et le dos. Mon bras pendait, inerte.
Une pierre m’avait frappé à l’épaule, et la douleur est tout à coup devenue si vive que je suis tombé ; mon bras était devenu si lourd qu’il m’entraînait vers le sol.
J’ai vu le visage de Flavius Josèphe s’approcher du mien. Il m’a semblé caché derrière un épais voile gris.
Josèphe m’a aidé à me relever et nous avons quitté le désert de pierres, poursuivi par les flèches et les cris.
Nous sommes retournés au camp de Titus. On m’a soigné et il a suffi de quelques heures pour que je recouvre l’usage de mon bras et que s’éteigne le feu qui me brûlait l’épaule et le dos.
— La mort seule fera disparaître la haine qu’ils nous portent, a murmuré Josèphe. Ils sont plus de trente mille. Il faudra les tuer. Mais ils voudront entraîner dans la mort tout le peuple de Jérusalem.
Lorsque je suis sorti de la tente, deux jours plus tard, j’ai vu les terrassements construits par les soldats. Ils s’élevaient à la hauteur de la première enceinte, là, au nord, où elle était la plus basse.
Dans le désert de pierres, on avait disposé les machines de siège. Et les balistes, les scorpions, les catapultes avaient commencé d’envoyer leurs boulets de pierres qui passaient en sifflant au-dessus de la première muraille et allaient écraser les maisons de la ville neuve, bientôt recouverte par un dense nuage de poussière.
Combien de morts sous les toits et les murs effondrés ?
Pour moi, toutes ces victimes inconnues avaient le visage de Léda, et je ne pouvais me réjouir comme le tribun Placidus, qui m’expliquait que la décision avait été prise de peindre les boulets en noir afin que les Juifs fussent surpris, écrasés par ces boules de mort qui se confondaient avec l’ombre de la nuit.
— Ils vont nous ouvrir les portes, a pronostiqué Placidus.
J’ai répliqué que, même si nos béliers défonçaient la muraille, les Juifs, avec les corps des leurs, dresseraient un nouveau mur ; que jamais ils ne capituleraient, mais préféreraient la mort à la soumission. Au reste, celle-ci, ils le savaient, conduisait aussi à la mort.
— Écoute-les ! me dit Placidus.
J’ai entendu les cris d’effroi des habitants. La première enceinte était ébranlée par les béliers qui frappaient ensemble la base du mur. Puis, tout à coup, des hurlements ont remplacé les cris de panique, et j’ai vu déferler des nuées de combattants qui se précipitaient hors des remparts, couraient vers les terrassements, escaladaient les corps de ceux qui étaient tombés pour atteindre les soldats qui, protégés par leurs boucliers, poussaient les béliers, chargeaient les machines de guerre de leurs boulets. L’intrépidité des Juifs était telle que les soldats reculaient, abandonnant leur poste malgré les centurions et Titus qui, glaive à la main, combattait, dirigeait les contre-attaques.
La guerre est ainsi : j’ai voulu participer à ces combats, y tenir ma place. Placidus m’avait quitté et je l’apercevais au premier rang, puis, tout à coup, le silence retomba. Les Juifs s’étaient retirés.
Placidus est revenu vers moi, la cuirasse couverte de poussière et de sang.
— Ils sont courageux, a-t-il observé. Mais ils ne peuvent rien contre nos légions, sinon mourir ou se soumettre.
Il y eut pourtant une nouvelle ruée. Les Juifs, cette fois, brandissaient des torches qu’ils
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