Titus
prendrais plaisir à la guerre ? Je l’ai faite si souvent, déjà, que j’en connais tous les détours et que j’en imagine la fin : la mort de tant d’hommes, la souffrance et l’esclavage pour les survivants, et notre victoire.
Il a écarté d’un violent coup de pied un cadavre juif à demi recouvert par les décombres d’une maison.
— Je voudrais qu’ils comprennent qu’ils seront vaincus, qu’il n’y a pas d’autre destin pour les ennemis de Rome. Je voudrais qu’ils ouvrent les portes de leur ville. Et je laisserais debout les murs de leur Temple, j’interdirais le pillage. C’est là ce que je voudrais, Serenus, ce que j’espère encore. Mais la sagesse est la première victime de la guerre. Il faut être cruel, quand on combat, si l’on veut vaincre. Car l’ennemi a moins de prise sur la cruauté.
Titus m’a longuement fixé.
J’entendais à nouveau le martèlement des béliers.
— Voilà pourquoi, Serenus, je ferai encore dresser des croix, a-t-il conclu.
26
J’ai vu les charpentiers des légions abattre les derniers arbres, s’employer à en tailler les branches pour construire des croix.
Au bout de quelques jours, elles étaient si nombreuses que, étendues et serrées les unes contre les autres, elles couvraient les flancs de plusieurs collines.
Il ne restait plus qu’à clouer les corps et à les hisser face à la troisième muraille, celle du Temple.
Je suis passé parmi les prisonniers qui attendaient, accroupis, le front reposant sur leurs genoux, les jambes repliées, les poignets liés à leurs chevilles entravées.
Tout à coup, les béliers ont cessé de frapper et on n’a plus entendu que les cris des charognards qui se disputaient les cadavres amoncelés dans les ravins du Cédron et de la Géhenne.
Était-ce Flavius Josèphe qui avait obtenu que Titus laissât une dernière chance à la raison ?
Pour que la sagesse, au lieu de naître de la vue et de la peur du supplice, s’imposât peut-être devant le spectacle de la force invincible de Rome ?
J’ai espéré que les Juifs qui s’agglutinaient sur le rempart, au sommet des murs, des tours, et, parmi eux, toutes ces femmes, ces enfants, ces vieillards, tous ceux qui n’avaient pas choisi la guerre, mais qui la subissaient, sauraient imposer la paix puisque la défaite était inéluctable.
Ils voyaient les troupes rangées face à Titus comme pour une parade triomphale. Le légat avait décidé de payer la solde de ses soldats devant la ville afin que tous les Juifs pussent mesurer la puissance et la discipline romaines.
J’ai regardé avec les yeux d’un Juif ces milliers de fantassins qui s’avançaient, couverts de leurs cuirasses. Les cavaliers les suivaient, conduisant leurs chevaux richement parés. Chaque homme avait son arme sortie du fourreau, et l’éclat du soleil sur les lames était aveuglant.
Le sol tremblait sous les pas de ces dizaines de milliers d’hommes marchant par rangs de six, s’immobilisant mais continuant de frapper du talon, cependant que tribuns et centurions distribuaient à chaque soldat sa solde.
Les tambours battaient, les trompettes jouaient.
Et la foule des Juifs sur les remparts restait silencieuse et figée.
La raison et la sagesse s’imposeraient-elles à ces milliers de combattants juifs, aux hommes d’Éléazar, de Jean de Gischala et de Simon Bar Gioras ?
Si j’avais été l’un d’eux…
Je ne suis pas allé jusqu’au bout de ma pensée.
Mais, comme les heures et les jours passaient, au long desquels les soldats banquetaient devant ces Juifs affamés, puis les nuits où l’on but autour des brasiers, j’ai su que les combattants n’ouvriraient pas les portes, qu’ils préféraient mourir les armes à la main plutôt que d’être pieds et poings liés comme du gibier qu’on s’apprête à égorger.
Au cinquième jour, Titus donna l’ordre à chacune des légions de regagner son emplacement de combat. Et il fit entamer les travaux de terrassement permettant aux machines de siège d’être placées à la hauteur de la troisième muraille, afin d’ébranler la forteresse Antonia et ses quatre tours.
Après, ce serait l’attaque, le carnage, la destruction de la ville sacrée, celle du Temple.
Je me suis souvenu de la prophétie de Jérémie que Flavius Josèphe m’avait répétée :
« La Ville sainte sera brisée comme un vase de potier qui ne peut être réparé. Elle ne sera plus qu’un
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