Titus
d’épargner ceux des survivants qui n’avaient pas combattu.
Titus a hésité.
Il marchait lentement parmi les ruines, s’arrêtant devant les immenses blocs de pierre qui servaient de soubassement aux murailles et aux tours.
— Dans cette guerre, nous avons les dieux avec nous, dit-il. Les mains de nos soldats et nos machines de siège, nos béliers n’auraient pas suffi à ébranler ces murailles, ces tours. Ce sont les dieux qui les ont renversées.
— Sois généreux, Titus, a répété Flavius Josèphe. Tes dieux peuvent l’être !
Il a montré les survivants prostrés au milieu des décombres, attendant qu’on vienne les tuer.
Mais les soldats le faisaient déjà à gestes las, fatigués d’abattre des hommes comme les bouchers égorgent les bêtes.
— Tuez les gens en armes et qui résistent, a décrété Titus.
J’ai prié pour que Léda Ben Zacchari soit parmi cette foule de prisonniers qu’on épargnait et qu’on poussait dans la cour du Temple.
Là, les soldats séparaient les faibles, les vieux, des enfants et des jeunes gens vigoureux que l’on pourrait vendre comme esclaves ou pousser dans l’arène afin qu’ils servent de proies aux fauves ou aux gladiateurs.
J’ai assisté à ce tri cruel entre ceux qui allaient immédiatement mourir et ceux qui étaient voués à l’esclavage ou à une mort retardée, célébrée lors du triomphe de Titus ou au cours des jeux dans les amphithéâtres.
J’ai demandé au centurion qui commandait la garde de me laisser dévisager les jeunes prisonniers.
Les femmes avaient été rassemblées à l’écart, et les soldats les reniflaient, tirant l’une ou l’autre d’entre elles hors du groupe, l’entraînant dans les ruines.
Souvent ils revenaient seuls, ayant éventré la femme qu’ils avaient souillée.
J’ai prié pour que Léda Ben Zacchari n’ai pas connu pareil sort.
J’ai souhaité que la faim seule l’ait tuée.
Et je craignais et j’espérais en même temps qu’elle fut vivante.
Je m’arrêtais donc devant chacune des captives. J’étais obligé de les forcer, en empoignant leurs cheveux, à relever la tête et à me montrer leur visage.
C’était le 28 du mois de septembre.
Jérusalem n’était plus qu’un champ de ruines, un immense charnier qui continuait de brûler et où l’on égorgeait encore ceux qu’on ne voulait ni garder, ni nourrir, ni laisser libres.
C’est ce jour-là, alors que le soleil était encore à son zénith, flamboyant et brûlant comme au cœur de l’été, que j’ai reconnu, accroupie sur la terre de Judée, dans les décombres du Sanctuaire et parmi ces femmes entravées, Léda Ben Zacchari.
CINQUIÈME PARTIE
33
J’ai vu les fers qui cerclaient les chevilles de Léda Ben Zacchari.
J’ai vu la corde qui lui liait les poignets et enserrait son cou.
J’ai vu son visage maculé, ses pommettes écorchées, ses lèvres tuméfiées, et j’ai croisé son regard, à peine un instant, car elle l’avait dérobé, fermant les paupières comme si elle avait craint que je ne me souvienne de cette lueur de révolte indomptable que j’y avais aperçue quand je l’avais contrainte à relever la tête en la tirant par les cheveux.
Je les ai lâchés et elle a laissé retomber son menton sur sa poitrine.
Il fallait qu’elle soit un animal soumis si elle voulait vivre.
J’ai hésité, mais la tentation a été trop forte.
J’ai pris Léda par les épaules pour l’aider à se mettre debout. D’un mouvement brusque, elle s’est dégagée, restant recroquevillée, le dos voûté, les avant-bras posés sur ses cuisses repliées, les mains jointes appuyées à ses genoux.
J’ai reculé d’un pas.
— C’est celle-ci que tu veux ? m’a demandé le centurion qui m’accompagnait, un long fouet de lanières de cuir tressées pendant à son poignet.
J’avais obtenu de Titus de choisir parmi les prisonniers ceux que je désirais m’approprier ou faire libérer.
Je savais que Titus avait été généreux avec tous ses tribuns, ses proches.
Flavius Josèphe avait pu arracher à l’esclavage ou à la mort plusieurs dizaines de Juifs qu’il avait reconnus parmi la foule des captifs où les soldats choisissaient chaque jour des centaines de victimes qu’ils égorgeaient, torturaient ou crucifiaient.
Et j’avais encore vu Josèphe, implorant Titus, lui demander la grâce de trois prêtres que l’on venait de clouer sur
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