Titus
vers les tribuns, tout en ôtant son diadème, répéta qu’il était le fidèle serviteur de l’empereur, son fils soumis. Il se rendrait à Rome pour participer au triomphe, et il y occuperait les fonctions que l’empereur et le Sénat lui attribueraient.
J’ai loué la prudence de Titus. Les légions de Vespasien se battaient contre les Germains, les Gaulois, les Scythes. Les provinces de l’Empire, la frontière du Rhin étaient menacées. Les peuples les plus rebelles avaient voulu profiter de la guerre de Judée et de la guerre civile entre Othon, Galba et Vitellius pour tenter de reconquérir leur liberté.
Il fallait donc rétablir l’ordre, éviter toute division. Cela, Titus l’avait compris.
Je me suis cependant inquiété quand, au mois de mai, alors que les vents d’hiver avaient cessé de creuser la mer, je l’ai vu s’embarquer sur une trirème en compagnie de Bérénice.
Rome accepterait-elle une reine juive, épouse ou même simple concubine du fils et successeur désigné de l’empereur ?
Je n’étais, moi, que chevalier. Sur la passerelle du navire qui devait me conduire à Rome, j’ai poussé Léda Ben Zacchari dont j’avais fait lier les poignets et entraver les chevilles en ordonnant qu’on ne serrât pas les nœuds trop durement.
37
Je ne m’étais jamais soucié du sort réservé aux prisonniers et aux esclaves sur les navires de Rome. Or j’embarquais avec Léda, une esclave juive, sur une galère impériale.
À peine avais-je franchi la passerelle que le centurion commandant la galère s’avança vers moi.
Du bout de son fouet il montra à Léda l’écoutille ouverte que deux soldats, tenant un lourd gourdin, gardaient.
J’ai saisi la corde qui liait les poignets de Léda. Je l’ai tirée vers moi. J’ai bousculé le centurion, crié que j’étais chevalier de Rome, que j’appartenais à l’état-major de l’imperator Titus et que cette femme resterait à mes côtés sur le pont durant toute la traversée.
J’ai mis la main sur la garde de mon glaive.
Le centurion a hésité.
— Une Juive, a-t-il grogné, une esclave, une captive ?
— Mon affranchie, ai-je riposté.
J’ai tiré mon glaive hors du fourreau, j’ai tranché les liens de Léda et ai jeté loin, dans les eaux noires du port d’Alexandrie, ces cordes qui l’avaient entravée.
J’ai mis ma main sur l’épaule de Léda et l’ai conduite vers la proue, défiant du regard les marins, les soldats, les centurions, cette centaine d’hommes armés qui se rendaient comme moi à Rome.
À mes côtés, les yeux grands ouverts, Léda fixait cet abîme qui s’ouvrait, dans le pont, sur la chiourme et les cales ensevelies dans la pénombre, mais dont peu à peu on perçait l’obscurité.
J’ai vu les rameurs rivés à leurs bancs.
J’ai entendu les gémissements des prisonniers juifs que des soldats forçaient à s’entasser les uns sur les autres dans les coursives.
À chaque sifflement du fouet, le corps de Léda tressaillait comme si la lanière qui cinglait les dos, les épaules, les mollets et les cuisses des rameurs et des prisonniers l’avait elle-même frappée.
Lorsqu’elle fit un pas vers l’écoutille, je l’ai retenue, craignant qu’elle n’y tombât ou qu’elle ne s’y précipitât pour retrouver les siens dans la souffrance au lieu de rester près de moi, dans cet air chaud qui, avec le crépuscule, soufflait du désert vers la mer.
On a donné l’ordre de hisser la voile et le navire s’est écarté de la terre cependant que le tambour de la chiourme commençait à battre, le rythme devenant de plus en plus rapide, le battement sourd du maillet sur la peau du tambour couvrant les respirations saccadées des rameurs, les plaintes des prisonniers dont j’imaginais les corps enchevêtrés comme ceux des poissons dans le filet sorti de l’eau.
J’ai serré le poignet de Léda Ben Zacchari.
— Je t’ai affranchie, ai-je dit. Tu es libre. Tu seras citoyenne de Rome.
Elle a arraché son poignet de ma main en se retournant vers moi, et j’ai dû affronter son regard.
Je n’ai eu nul besoin d’entendre les mots qu’elle murmurait d’une bouche méprisante.
Elle disait :
— Je serai libre quand je t’aurai tué, quand je serai de retour dans ma patrie, quand la Judée ne sera plus captive et quand les murs du Sanctuaire seront à nouveau dressés, que les prêtres pourront accomplir selon nos rites les sacrifices afin
Weitere Kostenlose Bücher