Titus
prêt à la frapper, n’y renonçant qu’au dernier moment, choisissant d’abuser d’elle avec fureur, écartant ses cuisses et m’enfonçant en elle sans que cette étreinte brutale me satisfasse.
En me redressant, je la menaçais de la rendre aux soldats, ou bien de la livrer ou de la vendre aux lanistes qui recherchaient pour leurs spectacles des jeunes femmes dont le corps nu, offert aux bêtes, excitait les instincts de la foule.
Mais je l’ai gardée, et je ne résistais pas longtemps à mon désir.
Je m’approchais d’elle. Je la prenais par le menton. Je soulevais son visage. Je m’irritais de ses yeux toujours clos, de ses lèvres toujours serrées. Je lui racontais ce que j’avais vu dans l’amphithéâtre. Je la menaçais, la contraignais à se lever, la renversais sur le lit.
J’étais son bourreau. Je la suppliciais.
Je hurlais que j’étais romain, qu’elle était vaincue, que j’étais chevalier, qu’elle était mon esclave.
Et je quittais la chambre ou la tente, un sanglot m’étouffant sans que j’en comprisse la raison.
Il m’est arrivé plusieurs fois de m’agenouiller, de m’allonger sur le sable, de prier ce dieu qui avait connu le supplice, celui que je trahissais en usant du corps de Léda, celui dont il me semblait qu’il comprenait ce que j’éprouvais et qui retenait mon bras quand j’avais la tentation de frapper Léda, peut-être de la tuer – car qu’était-ce qu’une vie, sur cette terre de Judée où Titus en sacrifiait chaque jour des milliers, sans cruauté, pour remercier ces villes de Syrie, ces soldats auxiliaires qui avaient été ses alliés dans la guerre ?
Il en avait toujours été ainsi depuis les origines de l’humanité.
Cela ne changerait-il donc jamais ?
La religion de souffrance et de pitié que les disciples de Christos le crucifié essayaient de répandre ne régnerait-elle donc jamais sur le cœur des hommes ?
36
J’ai interrogé Flavius Josèphe sur ce nouveau dieu issu de son peuple.
Il était assis en face de moi, devant sa tente dressée non loin de celle de Titus, dans le camp de la X e légion que nous avions rejointe après ces pérégrinations en Syrie, de l’Euphrate à la mer.
Devant nous, en contrebas du mont des Oliviers où le camp avait été installé, j’apercevais le champ de ruines. Des pierres plus massives que les autres rappelaient l’emplacement de la forteresse Antonia, de ses tours, et dessinaient le périmètre de ce qui avait été le Sanctuaire du peuple juif.
J’ai montré les collines nues qui entouraient les ruines.
Ici et là s’élevaient encore des croix ; des corps desséchés, lacérés, s’y trouvaient encore cloués.
— Le dieu Christos…, ai-je commencé.
D’un geste de la main Flavius Josèphe m’a interrompu :
— L’Éternel notre Dieu est Un, a-t-il martelé.
Je me suis souvenu des propos de Titus.
C’était pendant le siège. Nous étions près de lui alors que sur son ordre les charpentiers préparaient des centaines de croix que les soldats planteraient et dresseraient face aux remparts.
Parmi les prisonniers que l’on s’apprêtait à crucifier, certains avaient crié qu’ils ressusciteraient comme leur dieu Christos, qu’ils le rejoindraient dans la paix éternelle. Les Juifs promis au même supplice s’étaient écartés d’eux. Entre les disciples de Christos et leurs frères en souffrance, entre ces deux rameaux d’un même peuple que la proximité de la mort eût dû rassembler, ç’avait été un échange d’accusations, les uns imputant aux emportements des autres ce malheur qui les frappait tous.
Et Titus avait dit, regardant avec curiosité et mépris ces hommes qu’on allait clouer sur les croix :
— Ces superstitions funestes sont les ennemies de Rome. Juifs et disciples de Christos ont une âme rebelle. Ils refusent de reconnaître nos dieux et la divinité de l’empereur. Ceux qui croient en un dieu unique sont les ennemis de l’Empire et veulent qu’il se brise. Nous, Romains, nous accueillons tous les dieux, hormis ceux qui excluent les autres. Or tel est le dieu unique des Juifs et des chrétiens. Ces deux superstitions, quoique contraires l’une à l’autre, ont la même source. Les chrétiens viennent des Juifs. La racine arrachée, le rejeton périra vite.
— L’Éternel est Un, a murmuré une nouvelle fois Flavius Josèphe. Christos n’est qu’un rabbi parmi les rabbis que la folie et
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