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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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la des­cription du spectacle que nous eûmes alors sous les yeux. La chute du Niagara est, à mon avis, supérieure à tout ce qu'on en a dit et écrit en Europe, ainsi qu'à toutes les idées que l'imagination s'en forme d'avance.
    Le fleuve se divise en deux lorsqu'il arrive près du gouffre qui est ouvert devant lui et forme deux chutes qui se trouvent séparées par une petite île. La plus large forme un fer à cheval qui a un quart de lieue de développement, c'est-à-dire plus de deux fois la largeur de la Seine. Le fleuve, arrivé là, se précipite d'un seul jet à 149 pieds de profondeur. La vapeur qui s'en élève ressemble à un nuage, sur lequel repose un immense arc-en-ciel. On parvient très-facilement jusqu'à une pointe de rocher presque entièrement environnée d'eau, et qui s'avance sur le gouffre. Rien n'égale la sublimité du coup d’œil dont on jouit en cet endroit, surtout la nuit (comme nous l'avons vu), lorsqu'on n'aperçoit plus le fond de l'abîme, et que la lune jette un arc-en-ciel sur le nuage. Je n'avais jamais vu d'arc-en-ciel nocturne. Il a la même forme que celui du jour, mais est parfaitement blanc. Je l'ai vu passant d'un bord à l'autre, par-dessus le gouffre. Une entreprise qu'on croirait difficile au premier abord et dont cependant l'exécution est aisée, c'est de pénétrer environ cent pas sous la nappe d'eau. Parvenu là, une saillie du rocher empêche d'aller plus loin. Il règne en cet endroit une obscurité profonde et terrible, qui, par moments, vient à s'éclaircir ; et alors on aperçoit le fleuve tout entier qui semble descendre sur votre tête. Il est difficile de rendre l'impression produite par ce rayon de lumière, lors­que, après vous avoir laissé entrevoir, pour un instant, le vaste chaos qui vous environne, il vous abandonne de nouveau au milieu des ténèbres et du fracas de la cataracte. Nous sommes restés un jour franc à Niagara. Hier nous nous sommes embarqués sur le lac Ontario...

        D'après cette description et l'admiration que nous avons ressentie à Niagara, vous croyez peut-être, ma chère maman, que nous nous trouvons dans un état d'esprit fort tranquille et fort heureux. Il n'en est rien, je vous jure. Jamais, au contraire, je ne me suis senti en proie à une mélancolie plus profonde. J'ai trouvé à Buffaloe beaucoup de journaux qui parlent de l'état de l'Europe et de la France. En rapprochant toutes les petites circonstances qu'ils relatent, je suis demeuré convaincu qu'une crise chez nous était imminente et que la guerre civile était prochaine, traînant à sa suite tant de périls pour ceux même qui me sont les plus chers... Ces images viennent se placer entre moi et tous les objets, et je ne puis me voir, sans une profonde tristesse et une sorte de honte, occupé à admirer des cascades en Amérique, tandis que la destinée de tant de personnes que j'aime est peut-être, en cet instant même, compromise.

        ***

[Montréal et Québec]

        Conversation avec Mr. Quiblier, supérieur du Séminaire de Montréal. [Voyages I, pp. 77 - 78.]

        Mr. Quiblier nous a paru un ecclésiastique aimable et éclairé (24 août 1831). C'est un Français venu de France il y a quelques années.

        Lui. - Je ne crois pas qu'il y ait un peuple plus heureux au monde que le peuple canadien. Il a des mœurs très douces, point de dissensions civiles ni religieuses et ne paie aucun impôt.

        D. - Mais n'existe-t-il pas ici quelque reste du système féodal ?

        R. - Oui, mais c'est plutôt un nom qu'autre chose. La plus grande partie du Canada est encore divisée en
seigneuries.
Ceux qui habitent ou achètent une terre sur ces seigneuries sont tenus de payer une rente au seigneur et des droits de mutation. Mais la rente n'est qu'une bagatelle. Le seigneur n'a aucun droit honorifique, aucune supé­riorité quelconque sur son censitaire. Je pense qu'il est vis-à-vis de lui dans une position relative moins élevée que le propriétaire d'Europe et son fermier.

         

       D. - Comment se couvrent les frais du culte ?

        R. - Par la dîme. Le clergé en général n'a point de propriété foncière. Ce qu'on appelle la dîme est la vingt-sixième partie de la moisson. Elle est payée sans répugnance comme sans peine.

        D. - Avez-vous des couvents d'hommes ?

        R. - Non. Il n'y a au Canada que des couvents de filles. Encore les religieuses mènent-elles toutes une vie

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