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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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déposée sur ses lèvres. Il se savait attendu et cherchait sur le quai la silhouette endimanchée de son vénérable patron. Ses cheveux bouclés, sa chemise échancrée, son jean délavé, ses tennis usées lui conféraient une allure d’éternel adolescent refusant obstinément de devenir un homme. Sur son épaule, il trimbalait son sac de sport Adidas dans lequel il avait dû jeter à la hâte quelques polos, trois caleçons et son nécessaire de toilette, sans compter tout ce qu’il avait pu récupérer de bouquins à la bibliothèque de Chaillot sur le peintre des caf’conc’ et des maisons closes.
    À la vue de son collaborateur qui avançait d’un pas décidé, Séraphin agita son bras droit.
    — Bonsoir, patron !
    — Vous avez fait bon voyage, Théo ?
    — Il faisait une chaleur dans cette bétaillère ! Jusqu’à Toulouse, c’était encore supportable, mais dans ce tortillard, c’était l’enfer, je vous jure, monsieur !
    — Dans un quart d’heure, vous serez à l’hôtel, vous aurez alors droit à une bonne douche… Venez vite, que je vous présente Jean Dorléac, le conservateur de la Berbie, la forteresse d’Albi la plus prenable qui soit ! ironisa Cantarel.
    — Bonsoir, jeune homme, ajouta Dorléac pour faire diversion. J’en suis sûr, il vous tardait d’arriver, les trains du Midi ne sont guère confortables.
    — Comme vous y allez, cher ami, s’interposa Cantarel. La voiture-restaurant du Capitole vaut bien des brasseries parisiennes ! On y mange avec des couverts en argent. On y boit un cahors excellent, le magret est cuit à point… et les cèpes y sont persillés comme il faut. Que demande le peuple ?
    — Sauf votre respect, patron, je voyage en seconde classe et j’ai dû modestement me contenter d’un sandwich jambon-beurre, si vous voyez ce que je veux dire…
    — Oh, mon pauvre Théo, vous mourez de faim ! À cette heure-ci, je présume que, sur la place du Vigan, nous serons bien en peine de trouver une table digne de votre appétit, n’est-ce pas, Dorléac ?
    — Si le cœur vous en dit, allons chez moi ! Il y a toujours un foie gras et un gaillac au frais. À cette heure-ci, ma femme doit être déjà couchée, mais il n’est pas interdit de ripailler entre hommes, qu’en pensez-vous, messieurs ?
    Le sourire de Théo valait toutes les approbations. Cantarel n’avait qu’à s’incliner. Ils se rendirent donc dans l’appartement cossu des Dorléac, rue Saint-Julien.
    Les murs étaient couverts de cadres, beaucoup de peintures d’Henri Gourc, médecin albigeois au pinceau très inspiré, mais aussi des toiles d’Édouard Julien ou encore de Jules Cavaillès. Cantarel crut reconnaître un Bonnard, mais se ravisa discrètement…
    En épicurien qu’il savait être aussi, Jean Dorléac ouvrit un gaillac de chez Robert Plageoles. Un bijou du genre que Théodore engloutit comme du petit-lait. Cantarel l’imita en y mettant les formes, dissertant sur le mauzac, le loin-de-l’œil, l’ondenc ou encore le verdanel, autant de cépages qui caractérisent les vins blancs de Gaillac.
    Le Paris-Albi n’était plus qu’un vague souvenir pour Théo qui vint facilement à bout du foie gras de Mme Dorléac. En guise de dessert, le conservateur ouvrit un bocal de mirabelles qui baignaient dans un jus de sucre de nature à adoucir le palais des deux convives. La fringale du jeune assistant faisait plaisir à voir. Jean Dorléac n’hésita pas à ouvrir une seconde bouteille de gaillac pour régaler ses hôtes improvisés. Le vin, c’est bien connu, déliait les langues. Et l’Albigeois de raconter les frasques d’Alphonse de Toulouse-Lautrec, le père du peintre, homme extravagant et volage qui prenait du plaisir à se singulariser tant à Paris que sur ses terres d’Oc :
    — Un jour d’été, le comte Alphonse renonce à la torpeur de la capitale pour rejoindre sa maison d’Albi qu’il partage avec son frère Charles. Vêtu d’un bel habit sombre qui sangle sa silhouette de dandy, l’aristocrate rejoint la toute nouvelle gare d’Orsay inaugurée lors de l’Exposition universelle de 1900. Il fait charger ses malles dans le fourgon à bagages et prend aussitôt ses aises dans un des compartiments de première classe. Il s’installe avec ses animaux…
    — Ses animaux ? s’étonna Théo.
    — Oui, jeune homme ! Le comte de Lautrec ne se déplaçait jamais sans son cormoran pour la pêche et son grand duc pour la chasse.
    — Ce

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