Toulouse-Lautrec en rit encore
savoir !
— Vous avez raison, il y a des gens qui en veulent à votre bonne humeur et à votre générosité de… cœur !
— Qu’est-ce qu’on dit sur moi ? se ravisa Micheline en rapprochant d’une main les deux pans de sa robe de chambre afin de dissimuler une poitrine par trop provocante.
— J’ose à peine vous le dire : il se murmure que vous faites des pieds et des mains auprès de M. Dorléac pour placer votre nouvel amant comme futur gardien du musée. Histoire de garder votre place au chaud !
— Comment peut-on inventer pareilles sornettes !
La malheureuse avait enfoncé sa tête au creux de ses mains. Ses ongles peints cachaient ses larges yeux qu’elle embruma sans avoir recours aux petits oignons frais qui relevaient souvent sa cuisine.
Piètre comédienne, Micheline ne parvenait pas à apitoyer Théo Trélissac, d’autant qu’en explorant du regard la loge du concierge, le garçon avait observé que la porte de la chambre était négligemment entrebâillée, le lit défait. Une invitation peut-être ?
Par le truchement de l’armoire à glace, Théo n’avait pas manqué de remarquer, posée à même le dossier d’une chaise mal rempaillée, une chemise couleur kaki.
Théo emprunta une mine contrite et compatissante. Il remercia Mme Labatut pour son café très fort, mais très bon.
— Vous lui direz à M. Dorléac que je suis une femme honnête…
— Comptez sur moi, madame…
La veuve raccompagna Théo jusqu’au seuil de la loge.
— Ah, j’oubliais quelque chose, madame Labatut…
Trélissac sortit alors de la poche intérieure de son blouson en daim une enveloppe pliée en deux.
— Est-ce bien l’écriture de votre mari ?
Les lèvres de la femme se mirent à trembler sans que cela, cette fois, puisse être mis sur le compte de la comédie.
— Où avez-vous trouvé cette enveloppe ? demanda-t-elle, fébrile.
— Vous reconnaissez bien son écriture ? insista Trélissac
— Oui, oui, dit-elle d’un ton mal assuré.
D’une écriture appliquée, scolaire, on pouvait lire sur une seule et même ligne :
Il faut que vous sachiez…
— J’ai trouvé cette enveloppe hier dans les réserves du musée, glissée entre deux cartons à lithographies, pas très loin de là où votre mari s’est…
La femme porta sa main droite à la bouche, comme si elle allait soudain vomir.
Dans un geste de compassion, Théo lui prit alors le poignet :
— Je vous rassure, madame Labatut, l’enveloppe était vide !
L’assistant de Cantarel replia précautionneusement l’enveloppe, la glissa dans son blouson, remonta la fermeture Éclair jusqu’au col avant de remercier, une nouvelle fois, Mme Labatut pour son café.
Jamais la veuve de l’ancien concierge du musée Toulouse-Lautrec n’avait aussi bien porté le nom de son défunt mari. Il faudrait bien toute la virilité de son nouvel amant pour mettre un peu de rose sur ses joues.
6
Une odeur d’eau de Javel habitait les lieux plongés dans une obscurité épaisse. Pas la moindre trace de désordre. Tout était soigneusement rangé, chaque bibelot à sa place. Seuls un ficus et deux orchidées souffraient cruellement de cette absence de lumière, fallait-il que le propriétaire ait peu la main verte ou soit parti pour un long voyage pour leur infliger une telle agonie ! Une fine pellicule de poussière recouvrait le marbre de la cheminée où une pendule rococo refusait de compter le temps.
La maison de Paul Dupuy était une bonbonnière tapissée de tentures, d’objets de pacotille. Un théâtre baroque, fait de stucs, de médiocres copies, de meubles désaccordés, de tapis élimés, de girandoles dépareillées, de photos de stars encadrées comme des portraits de famille. Il y avait là, habillés dans des cadres en feutrine, suspendus aux murs ou meublant des étagères, Alain Delon dans Rocco et ses frères , Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle , Marlon Brando dans Un tramway nommé Désir , Jean Marais, Rock Hudson, Paul Newman ou encore Steve McQueen dont le bleu acier des yeux dérangeait le visiteur.
Le commissaire Coustot n’avait eu aucun mal à obtenir du procureur de la République un mandat de perquisition au domicile de Paul Dupuy. L’homme avait mystérieusement disparu sans la moindre explication au lendemain du vol des Lautrec et personne dans le quartier ne l’avait revu.
Son portrait circulait à présent dans les gendarmeries du Midi. Son unique sœur
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