Toulouse-Lautrec en rit encore
qui vivait à Menton disait n’avoir aucune nouvelle de lui. Son dernier coup de fil remontait à un mois. « Il devenait de plus en plus dur de la feuille, mais il avait une bonne voix », certifia la dame d’un ton poli, pourtant étrangement inquiet.
— Paul me téléphone une fois par mois, le dimanche sur le coup de midi. Il est très discret sur sa vie privée. Il est content de sa place au musée. Le fait de travailler la nuit ne le dérange pas, ça lui laisse la journée libre pour faire autre chose…
— Que fait-il d’après vous ?
— Je ne sais pas, moi. Il aime beaucoup la nature…
— Vous connaissez ses relations ?
— Pas du tout. Je ne vais jamais à Albi. C’est lui qui vient chaque année à Menton. À Pâques et début septembre…
— A-t-il une petite amie ? demanda Coustot sur un ton faussement naïf.
— Je ne saurais vous dire, monsieur le commissaire. Petit Paul, on l’a toujours appelé « Petit Paul » car je suis l’aînée et, comme vous savez, il n’est pas très grand…
— Pensez-vous que quelqu’un peut lui en vouloir ?
— Vous êtes en train de me dire qu’il est arrivé un malheur à mon Petit Paul ?
— Je l’ignore, madame. Mais sa disparition subite nous préoccupe. Si vous recevez de sa part le moindre appel, la moindre lettre, faites-nous signe…
Déçu par si peu d’indices, outre la lettre de menaces recueillie par Théo Trélissac, Coustot avait demandé l’autorisation au parquet de perquisitionner la demeure de Dupuy. Peut-être pouvait-elle révéler quelques pistes ?
Le commissaire et deux de ses sbires ouvrirent en grand les persiennes, éclaboussant de lumière la maison endormie.
— Ça sent la naphtaline, patron ! déclara l’un d’eux.
— Ah, c’est bien une baraque de tarlourze ! renchérit le second.
Fernand Coustot restait insensible à ces lieux communs, furetant dans tous les recoins, fouillant bahuts et armoires. Dans la salle à manger qui faisait aussi office de salon, il y avait une bibliothèque où l’on distinguait, outre un Bénézit 1 de 1973, plusieurs ouvrages sur Toulouse-Lautrec. Le policier toulousain parcourut les dos des livres rangés avec soin : Henri de Toulouse-Lautrec , Maurice Joyant, volumes I et II ; Autour de Toulouse-Lautrec , Paul Leclercq ; Notre oncle Lautrec , Mary Tapié de Céleyran, Genève ; Il y a cent ans, Henri de Toulouse-Lautrec , Georges Beauté et Mary Tapié de Céleyran, Genève ; La Vie de Toulouse-Lautrec , Henri Perruchot ; Lautrec , Jacques Lassaigne.
Décidément, rien de la vie de Lautrec n’était étranger à Paul Dupuy, à supposer toutefois qu’il ait lu chacun de ses livres… Le commissaire se saisit de l’un d’eux, feuilleta les pages. En guise de signets, il y avait des pétales de fleurs des champs dont le temps avait fané les couleurs. Certains paragraphes étaient soulignés au crayon à papier.
Dorléac prétendait que Dupuy était le plus érudit de ses gardiens. La bibliothèque du mystérieux disparu attestait de cette soif de connaissances sur ce génie de Lautrec. Pour cet homme sans diplômes, ce n’était pas le moindre des privilèges que de veiller sur les œuvres du maître.
Seule la chambre de Dupuy renseigna un peu le policier sur la double vie de Petit Paul dont Madeleine, la sœur installée sur la Riviera, ne semblait rien savoir. Dans le tiroir d’une commode, un album de photographies réunissait des clichés de Paul enfant, des photos de vacances en noir et blanc et quelques prises de vues réalisées sans grand talent avec un Kodak Instamatic. On y voyait Dupuy, jeune homme toujours élégant, tenant par l’épaule des garçons de son âge, ou légèrement plus jeunes, fiers de poser devant l’objectif. Il y avait aussi, pêle-mêle, des clichés de femmes aux lèvres nacrées de rose, la chevelure blonde, légèrement bouclée avec de grands cils abritant des yeux en amande. Était-ce Madeleine ? Il y avait comme un air de famille. À moins qu’il ne s’agisse de Paul travesti en Marilyn ? Le doute était permis…
Parmi ces photos soigneusement glissées sous un calque plastifié, Coustot crut reconnaître Gérard Dorval, bronzé, enroulant son bras gauche autour du cou de Petit Paul. La photo avait été prise à Nice, sur la promenade des Anglais. Le dôme du Negresco était largement reconnaissable.
Menton était à un saut de puce de Nice, il était évident que la sœur de Dupuy ne
Weitere Kostenlose Bücher