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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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affreux ! souligna Hélène en mettant sa main sur la bouche comme pour masquer un haut-le-cœur.
    Théo pointa alors du doigt une scène représentant un malheureux suspendu au-dessus d’une marmite où des métaux en fusion constituaient une lave incandescente digne de l’Etna et du Vésuve réunis.
    — Pour un peu, ils étaient prêts à embrocher les damnés et à les rôtir comme des agnelets ! ironisa l’assistant de Cantarel.
    — Sur bien des fresques, en effet, on poussait le vice jusqu’à la rôtissoire dans les cuisines de l’Enfer. Il semblerait qu’ici à Albi, on ait manié le feu avec plus de précaution… Peut-être les bûchers du catharisme incitaient-ils l’Église et son cortège d’évêques aux faciès rubiconds, habités peu ou prou par le remords, à la pratique d’une cuisine à feu doux.
    Trélissac ne put réprimer un fou rire. Hélène, contaminée à son tour par son propre humour, se mit à pouffer comme une collégienne prise en faute.
    Complices, les deux « visiteurs » de l’Enfer eurent droit au regard sentencieux d’un ecclésiastique à la soutane lustrée comme un sou neuf qui s’apprêtait à dire les vêpres dans l’une des chapelles de la cathédrale.
    Mezza voce , Hélène Cantarel n’en continua pas moins ses explications érudites :
    — Les représentants de Dieu sur terre poussaient leur sadisme jusqu’à la perversité savamment dosée.
    — C’est-à-dire ? demanda le jeune Trélissac, toujours curieux.
    — Il n’a pas dû vous échapper, mon cher Théo, que les châtiments représentés sur ces peintures excluent toute mort instantanée. L’Enfer est l’univers de la souffrance sans répit. Pas celui de la mort !
    — Super vicelards, les enfants du Bon Dieu !
    — Pas question en effet de pendaison, de décollation, d’écartèlement ou de supplices entraînant une mort quasi immédiate. Non, les supplices prônés par l’Église se doivent d’être é-ter-nels !
    Mme Cantarel jubilait quand elle parlait d’éternité :
    — Ils s’inscrivent dans la durée et se répètent jusqu’à la fin des temps. Les damnés sont condamnés à la souffrance pour toujours !
    — Aucune chance de rémission ? demanda Théo sur un ton faussement suppliant.
    — Aucune, confirma Hélène. Ceux qui sont morts en état de péché mortel sont privés de toute grâce sanctifiante. Ils sont définitivement exclus du Royaume des Cieux. Ils doivent endurer à jamais les tourments de leurs corps, leurs âmes seront en perpétuelle errance et souffrance. Il suffit d’observer leurs regards pathétiques, chargés d’effroi, pour entendre leurs cris de douleur, leurs lamentations et leurs remords trop tardifs.
    Bouche bée, Théo buvait la science de son interlocutrice.
    — Les peintres de ce début du XVI e  siècle y sont allés de leur génie démoniaque. Et certainement pas de main morte ! Payés par l’Église, ils se devaient d’entraîner le peuple vers les voies de la foi, de la probité et d’une sexualité destinée uniquement à enfanter. Forniquer, jouir des plaisirs de la chair, s’abîmer dans la luxure et s’oublier dans les vanités et l’argent, c’était le plus sûr chemin pour se perdre en Enfer… Le spécimen qui nous est offert à Albi n’est pas très différent, mon petit Théo, de celui de Dante…
    — Cessez, je vous prie, Hélène, de m’appeler « mon petit ». J’ai l’impression d’être votre élève !
    — Vous avez raison, je suis parfois trop familière avec vous. Je devrais prendre un peu de distance, Séraphin me l’a déjà fait remarquer.
    — Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…
    Hélène Cantarel marqua un silence, puis hasarda quelques pas avant de s’émerveiller devant la « Peine des orgueilleux ».
    — Excusez-moi, je suis totalement ridicule, bredouilla Trélissac. Ma susceptibilité est ma pire ennemie !
    — N’en parlons plus, Théo. Et pardonnez-moi s’il m’arrive de vous considérer avec un peu plus d’affection qu’il ne faudrait.
    — Votre affection me fait du bien et je ne sais comment vous…
    — Taisez-vous, Théo. Je sens que vous allez dire une bêtise.
    Hélène prit alors Théo par l’épaule, frotta presque ses cheveux contre ceux du garçon, qui ferma un instant les yeux avant de les rouvrir devant le tableau des orgueilleux. Tous sont pendus et ligotés sur des roues tournant indéfiniment, comme des moulins. Les envieux, eux,

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