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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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peintres du Moyen Âge avaient l’imagination tourmentée et férocement pervertie.
    À lui seul, le Jugement dernier ne fait pas moins de quinze mètres de haut sur dix-huit de large. La partie supérieure, où figurent l’empire céleste et les anges, vient en contrepoint de la partie basse où s’entassent, dans une promiscuité effrayante, les démons de l’Enfer, le tout constituant de larges frises continues tandis que les assesseurs du juge et les appelés de Dieu apparaissent à la droite de celui-ci, les récusés se trouvant cantonnés à sa gauche. Une construction très habile de la part des artistes de l’époque, qui met le pauvre pécheur presque nez à nez avec les affres de l’Enfer.
    — Regardez, Théo, cette galerie de monstres, tous plus hideux les uns que les autres !
    Subjugué, l’assistant de Cantarel auscultait les détails de ce chaos, très éloigné du bestiaire de Jérôme Bosch, le seul sur lequel il se fût véritablement penché au musée du Prado, lors de ses longues années en histoire de l’art. Ici, pas de grylles, de souris aquatiques ou de poissons-canards, mais des damnés par milliers rampant dans les prisons malfamées de Lucifer. Côte à côte, dans une immense orgie, ce ne sont que visages humains déformés, chevillés à des corps de singes ou de guépards. Dominant cette faune hybride volettent ou rampent des oiseaux à queue de serpent ou des lézards géants aux peaux visqueuses et molles. Tous inspirent crainte et répulsion. Ici des représentations affublées de masques terrifiants, avec des pattes griffues et des becs acérés. Là, des rapaces royaux aux regards perforants. Ils vous glacent le sang, leurs serres sont prêtes à vous meurtrir la chair…
    — Celui-là a une tête de bouc qui fout les chocottes ! fit remarquer Théo en glissant une main dans ses cheveux bouclés, comme pour s’assurer qu’il ne cauchemardait pas.
    — Le bouc est l’animal diabolique par excellence, souligna Hélène Cantarel. Il symbolise la luxure et la puanteur. Les damnés que vous voyez grouiller dans ce gigantesque musée des horreurs doivent subir les odeurs pestilentielles de ces monstres gluants, mais aussi leurs faces de rat perverses et méchantes…
    — Ils avaient une sacrée imagination ! objecta Théo.
    — L’Église leur intimait l’ordre de peindre l’abjection dans ce qu’elle a de plus répugnant. Ils y allaient de leurs pigments et de leurs pinceaux en poils de chèvre, de belette ou de fouine. Peindre des anges est quand même plus facile que d’inventer des créatures maléfiques censées battre les pavés de l’Enfer !
    — Je veux bien vous croire… répliqua Théo, perplexe devant le Jardin des supplices.
    Hélène s’approcha de son protégé pour lui chuchoter à l’oreille tout ce que sa culture lui inspirait.
    Des grappes de visiteurs se répandaient sous la nef de la cathédrale tandis qu’une guide à la voix de soprano, une femme corpulente et laide comme un pou, multipliait les explications en direction d’un groupe de touristes allemands.
    — Nous n’échappons pas ici, comme dans toutes les représentations dantesques, aux clichés éculés. L’Enfer est toujours symbolisé par une grande fournaise. Notez, Théo, les zébrures de couleurs qui griffent le fond obscur de la plupart des scènes que nous voyons. Elles traduisent la présence du feu, lequel, selon saint Augustin, brûle les damnés sans toutefois les consumer.
    Béat, Théo écoutait sans moufter les explications d’Hélène, tout émoustillé à l’idée de tutoyer le péché.
    — Les serpents que vous voyez de part et d’autre des maudits figurent le mal. On imagine les morsures que devront subir ceux qui, lors de leur passage sur terre, ont commis tant et tant de mauvaises actions.
    — Mais c’est qu’ils étaient vicelards, les gonzes !
    Trélissac faisait directement allusion à la série de châtiments que devaient endurer les damnés.
    — Les peintres, vous avez raison, Théo, débridaient à cette occasion leur imagination. Cependant, les mœurs de l’époque pour punir les criminels et autres bandits s’inscrivaient dans ce catalogue où la cruauté était érigée en vertu. Le supplice de la roue que vous voyez là était couramment pratiqué, empaler un supplicié n’avait rien d’exceptionnel, à côté l’immersion dans une eau glacée était un moindre mal. Je reconnais qu’être ébouillanté vivant devait être

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