Toulouse-Lautrec en rit encore

réserve.
    — Certainement… murmura Hélène en plaquant machinalement ses longs cheveux châtains en arrière.
    — Il y a une filière à Paris, mais elle est insaisissable, marmonna l’homme de la PJ, qui, pour une fois, s’était délesté de son omniprésente Gitane à la commissure des lèvres.
    Théo crut bon d’ajouter :
    — Souvent, ce sont des réfugiés clandestins russes qui, fidèles à l’esprit de l’école de Barbizon, s’amusent à copier les tableaux des grands maîtres. Pour eux, c’est un exercice de style, sauf que leur talent autorise toutes les copies… Certaines sont plus vraies que les originaux et se négocient en millions de francs.
    Dorléac et Coustot écoutaient Trélissac bouche bée. Hélène, qui s’était débarrassée de son manteau, occupait l’espace avec une distinction qui flattait son mari.
    Elle n’osait manipuler les cadres et regardait les murs recouverts de toile de jute. Aux cadres déposés s’était substitué un alignement de rectangles plus sombres. Le soleil et la lumière faisaient leur œuvre sur les murs fanés du musée. Pourquoi les couleurs des tableaux, notamment le rouge de la moquette de la Comédie-Française que foulait le cousin de Lautrec, n’auraient-elles pas pâli à leur tour ?
    — Puis-je émettre une objection ? demanda Hélène Cantarel à la cantonade.
    Tout le monde se tut.
    — Ne trouvez-vous pas surprenant, messieurs, que les voleurs se soient rendus maîtres de trois toiles bien en marge de l’œuvre de Lautrec ? Deux des tableaux représentent l’entourage intime du peintre. On est loin du caricaturiste traînant son pinceau et ses crayons au Moulin de la Galette , au Chat noir , au Moulin-Rouge ou encore aux Folies-Bergère  ! Ce ne sont pas les toiles les plus cotées, tu en conviens, Séraphin ?
    — C’est en effet ce qui me trouble… souligna le conservateur.
    — Tout en effet est extrêmement troublant, répéta Coustot. Ce vol, me dites-vous, ne répond pas à la logique du marché de l’art. Peu de chances donc que ces toiles passent un jour dans une vente aux enchères à Londres ou à New York. Alors ? Alors qui ? demanda le policier désarmé.
    — Messieurs, je ne vous cache pas que j’ai une petite faim, fit remarquer Séraphin. Je vous propose de poursuivre cette partie de Cluedo chez Rieux. Personne ne voit d’objection particulière ?…
    — Si, moi, dit Hélène en levant son index. Je trouve qu’en une semaine mon mari et M. Trélissac se sont légèrement arrondis. Je sais que Lautrec les tourmente au-delà de ce qui est permis, mais tout de même ! J’ai toujours préféré Jane Avril à la Goulue !
    — En ce cas, allons plutôt au Fils de l’Évêque , le cassoulet y est plus généreux et la croustade plus épaisse ! railla Dorléac, prêt à tous les outrages gastronomiques pour oublier le mauvais sort qui s’acharnait sur son musée comme le diable s’agrippe à l’âme versatile des pauvres gens.
    Gérard Dorval, le gardien, ne fut pas mécontent de retrouver le silence sépulcral de son musée. Il était 12 h 45, toutes les œuvres de Lautrec gisaient au sol, ventre à terre ou face contre le mur ; le nouveau système d’alarme serait installé sous vingt-quatre heures. Il suffisait d’introduire un chat-huant dans le musée pour réduire à néant l’invasion de chauves-souris dont les ailes frondeuses mettaient en action les détecteurs d’intrus.
    Après un tel remue-ménage, c’était sûr, le musée ne rouvrirait pas ses lourdes portes avant le dimanche.
    Mlle Combarieu dut alors se résigner à coucher de sa plus belle écriture la mention « Le musée Toulouse-Lautrec reste fermé jusqu’à nouvel ordre » sur un bout de contreplaqué qu’elle suspendit aux grilles du palais de la Berbie, un peu comme une maquerelle affiche « Hôtel complet » quand la fornication occupe tous les étages de son juteux établissement.
     
    Du ciel, Toulouse-Lautrec devait rire aux éclats.
    1 - Dictionnaire recensant les artistes peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs du monde entier. ( N.d.A. )

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    Bien sûr, il y avait les anges, les saints, les élus du Seigneur et les ors du Paradis, mais ce qui fascinait Hélène Cantarel, c’était le Jugement dernier , et plus encore les damnés de l’Enfer. De toutes les peintures ornant la cathédrale Sainte-Cécile, celles du royaume des monstres retenaient particulièrement son regard. Les facétieux