Toulouse-Lautrec en rit encore
rehaussait la toile. En arrière-fond, on apercevait la dame du vestiaire au visage ingrat, le tout dans une atmosphère tamisée qui plaisait tant à Cantarel. Le tableau cristallisait le talent magicien de Lautrec : la maîtrise des couleurs, du trait, un sens aigu de la caricature mâtiné d’un réalisme qui faisait mouche, mais il était patent que ce rouge qui occupait les deux tiers du tableau, ce rouge violent et chaud à la fois, ce rouge-là n’était peut-être pas celui issu de la palette du maître. Le doute s’installait, même si la signature était conforme.
— Décrochons ! ordonna Cantarel.
Trélissac s’empara d’un escabeau et, aidé par Dorléac, ôta la toile de son piédestal. Le cadre était vierge de toute estampille, la toile chevillée aux montants du châssis souple et assez mal découpée. Ce travail était, à l’évidence, de facture récente.
— Plus de doute possible, c’est un faux. Une copie, une belle copie, mais une copie ! déclara Cantarel furibard.
— Quel était l’intérêt pour les voleurs de remplacer le vrai tableau par une copie ? s’étonna Dorléac.
— Oui, quel intérêt ? renchérit Hélène.
Théo plongea sa main droite dans ses cheveux bouclés comme il le faisait parfois quand une intuition le titillait. Il observait en silence cette copie comme un être déchu.
— Et si le Tapié avait été dérobé bien avant l’ Autoportrait et le Routy ? Peut-être, parmi les tableaux qui nous entourent, y a-t-il d’autres faux ? Puisque, à présent, nous sommes à peu près convaincus que le vol a bénéficié de complicités au sein du personnel du musée, il n’est pas exclu que des tableaux aient déjà été subtilisés au profit de copies de facture irréprochable et que… nous découvrions le pot aux roses uniquement aujourd’hui !
Fidèle à son tic, Dorléac s’épongea le front. L’affaire prenait une tournure inattendue. Décidément, la chienlit s’installait dans son musée. Quand la presse ferait ses choux gras de cette nouvelle perte artistique, le discrédit s’abattrait une nouvelle fois sur lui, sur la ville, sur l’héritage Lautrec.
Taciturne, Coustot arriva sur ses entrefaites, affublé de ses assistants porteurs des trois encadrements. Dorléac comme Cantarel se penchèrent sur les châssis. Pas de doute, c’étaient bien ceux qui, une semaine plus tôt, trônaient fièrement sous les voûtes de la Berbie.
Courroucé, Cantarel demanda que soient illico décrochés tous les tableaux du musée. Tous furent mis à bas, dos aux murs, et ce dans toutes les salles d’exposition.
Avec méthode, Trélissac et son patron inspectèrent chacun des châssis, chacune des toiles et chacun des cartouches, traquant l’imitation et tout travail de faussaire. Hélène, habituée aux grandes fouilles et aux tâches méticuleuses, prêta main-forte en silence. Dorléac, pour sa part, tentait de les imiter avec une efficacité contestable. Son mouchoir n’était plus qu’une éponge et Mlle Combarieu fut remballée sans ménagement lorsqu’elle s’autorisa cette question totalement saugrenue :
— Quand, messieurs, rouvrons-nous le musée ?
Force était de constater que seul le Tapié avait été contrefait. Cependant, il ne serait peut-être pas superflu de mandater un expert, spécialiste de la peinture de Lautrec, pour s’assurer que d’autres toiles n’avaient pas été pillées. Reproductions photographiques en main, Théo observait désormais à la loupe chaque toile, mais aussi chaque dessin. Seules les affiches et les lithographies n’eurent pas droit à une inspection aussi rigoureuse.
— Depuis le début de cette affaire, je te l’ai toujours dit, Séraphin, vous êtes en présence de professionnels qui, depuis longtemps, ont préparé leur coup ! Théo a peut-être raison. Le cambriolage a dû se dérouler en deux temps sans que personne ne constate la première supercherie.
— Avouez, Cantarel, que la copie est parfaite, hasarda le conservateur albigeois.
— Je vous le concède, cher ami, répliqua Séraphin d’un ton docte. Moi-même, quand j’ai fait le tour du musée lundi, n’ai rien remarqué. Si ce n’était ce rouge moins criard que celui qui inonde l’original, je mets quiconque au défi de…
— Ce qui veut dire, messieurs, que nos monte-en-l’air ont fait appel à un faussaire de haute volée ! objecta Coustot qui sortait enfin de sa
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