Toulouse-Lautrec en rit encore
pour la peine, ne tenait plus qu’un mégot froid au bout de ses doigts jaunis.
— Pourquoi ne pas avouer que vous avez tenté d’arracher jusqu’au dernier sou à ce malheureux Dupuy ?
— Dites aussi que c’est moi qui l’ai tué ! protesta le proxénète.
— Je n’ai pas dit cela, répliqua Couderc très courtoisement.
— En revanche, c’est quand votre père a appris que ses deux rejetons mettaient des filles et des travelos sur les trottoirs de Toulouse que son honneur en a pris un sacré coup. Rien n’était plus insupportable pour lui que de voir le nom des Labatut tremper dans une sordide histoire de maquereaux !
Jules enchâssa sa tête entre ses deux mains comme s’il voulait être sourd aux accusations des deux enquêteurs.
— Votre mère n’était pas dupe de votre manège, n’est-ce pas ? Elle-même n’est pas, il est vrai, un modèle de vertu…
Le cadet des Labatut se taisait, le visage prisonnier de ses doigts longs et fins. Couderc crut voir des sanglots couler entre ses phalanges vierges de toute alliance. Il hoquetait comme un enfant sévèrement réprimandé.
— C’est dur d’avoir sur la conscience la mort de son père ! lança un peu théâtralement Coustot, avant de quitter le bureau de son adjoint pour poursuivre l’interrogatoire de l’aîné qui marinait dans la pièce d’à côté.
Jean Labatut n’était déjà plus le jeune homme arrogant et goguenard qu’avait abandonné vingt minutes plus tôt le commissaire Coustot dans son bureau. Il mâchouillait nerveusement un chewing-gum en même temps qu’il lissait son nez comme s’il avait souhaité l’allonger.
Les photographies étalées sur le bureau du commissaire n’étaient plus tout à fait dans l’ordre où l’enquêteur les avait laissées. Ce détail le conforta dans ses intuitions.
— Excusez-moi. Une affaire urgente à traiter…
Labatut ne semblait pas dupe du jeu du commissaire.
— Où en étions-nous déjà ? Ah, oui, vous me disiez que vous étiez joueur de poker et, que le soir où le musée a été visité, vous étiez chez des amis à Toulouse en compagnie de votre frère. Vous pariez beaucoup ?
— Vous n’y êtes pas, commissaire ! C’était une partie de strip-poker. C’est uniquement le plaisir du jeu…
— Lequel d’entre vous s’est retrouvé à poil le premier ?
— Bill !
— Pardon ?
— Daniel Billières. Tout le monde l’appelle Bill. Il tient une boîte de nuit sur la route de Lacroix-Falgarde, Le Roi Ubu .
— Étonnant. Il n’était pas derrière son comptoir un samedi soir ?
— C’est sa femme Dany qui fait tourner le bouclard. Lui, il apporte l’oseille, s’occupe des comptes, et basta !
— Je vois…
— Même que cette nuit-là, la soirée a dégénéré en partouze. Si vous voulez les noms, commissaire, il n’y a pas de problème ! Mais, discrétos, s’il vous plaît. Il y avait du beau linge ce soir-là : un grand ponte de la faculté de médecine, un avocat du barreau de Toulouse et même un procureur de Montauban !
— Je vois… répéta Coustot.
— Vous nous soupçonnez tout de même pas d’avoir barboté les tableaux du musée ?
— À ce stade de l’enquête, je n’exclus rien, monsieur Labatut.
— J’y connais rien en peinture ! J’ai eu à peine mon certif…
— Justement, j’ai une petite dictée à vous faire faire…
Le commissaire sortit une feuille blanche de son sous-main, ôta un stylo du revers de son veston et tendit le tout.
Le fils Labatut ne s’attendait pas à ce type d’exercice, mais il s’exécuta sans broncher, la bille du stylo légèrement tremblante.
Fernand Coustot dicta de mémoire un texte qui n’avait rien d’anodin :
— Comme de bien entendu, tu es resté sourd à notre dernière mise en demeure. Si sous huitaine, pas un jour de plus, tu ne nous as pas remis ce que tu nous dois, nous ne répondrons plus de rien…
Le jeune homme tirait la langue en même temps qu’il écrivait. Cette tâche lui semblait humiliante et terriblement fastidieuse. À chaque accord de verbe, il hésitait…
Puis Coustot s’empara de la feuille, compta les fautes et réduisit la laborieuse dictée à une boule de papier qu’il jeta aussitôt dans la corbeille.
Dans le bureau d’à côté, vraisemblablement Jules se livrait à la même occupation sous la férule d’Albin Couderc.
Si les frères Labatut étaient à l’évidence des barbillons de
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