Toulouse-Lautrec en rit encore
belle ! Peut-être sa surdité était-elle le résultat de plusieurs années d’abstinence ? souligna, l’ironie au bord de ses lèvres épaisses, le très cynique commissaire Coustot.
Soudain, les talons aiguilles de Mlle Combarieu résonnèrent sur le parquet du musée.
— On ouvre les portes, messieurs, dans moins de cinq minutes. Sans vouloir vous offenser, commissaire, je pense que cela risque de faire mauvais effet auprès du public que deux policiers, en civil certes, déambulent dans les salles…
— Mademoiselle Combarieu ! Vous tombez à pic. Je souhaitais précisément vous entendre pour évoquer une affaire, disons d’ordre privé.
— Je suis à votre disposition, commissaire. Je n’ai rien à cacher.
Coustot et Couderc s’approchèrent de la vieille fille au tailleur noir comme s’il s’agissait de comploter dans le dos de ses supérieurs hiérarchiques.
— Compte tenu du caractère très personnel de cet entretien, pouvons-nous, mademoiselle, nous voir à votre domicile ? Vous résidez toujours au 12, rue de Rhônel, tout près de la préfecture, n’est-ce pas ?
— C’est exact, répondit sèchement la secrétaire de Dorléac.
— Vers 13 heures, cela vous va ?
— Aujourd’hui ?
— C’est une affaire des plus urgentes, s’empressa de préciser l’adjoint de Coustot.
— J’y serai, murmura entre ses lèvres pincées, rehaussées d’un rouge carminé, la « plus corvéable des secrétaires », au dire du dépositaire des lieux.
Un lion en bronze faisait office de heurtoir. Mais une sonnette sur laquelle on lisait en lettres gothiques « Denise Combarieu » était le plus sûr moyen d’alerter la propriétaire de votre présence.
Couderc actionna à deux reprises le bouton doré qui tenait lieu de carillon. En réalité, un petit jardin séparait la rue de Rhônel de la maison cossue où Mlle Combarieu menait une existence peut-être moins paisible que les apparences, toujours trompeuses, voulaient le laisser croire.
Une glycine exubérante courait sur la façade. Des vases Médicis jalonnaient l’entrée dans un lacis de buis taillés au cordeau. Sous une treille, un salon en rotin attendait le visiteur.
Prévenante, Mlle Combarieu avait déjà déposé un plateau en argent avec trois tasses en fine porcelaine.
— Je vous attendais, messieurs… dit la vieille fille en guise de bienvenue. Entrez, je vous prie. Si vous le souhaitez, nous pouvons bavarder sous la treille ?… Ce soleil de printemps est une bénédiction !
— Comme il vous plaira ! souligna Coustot si peu contrariant.
— J’ai préparé du café, mais peut-être n’avez-vous pas déjeuné ? En ce cas, c’est plutôt l’heure de l’apéritif. J’ai du Martini ou du Cinzano à vous proposer…
Denise Combarieu avait l’art d’orchestrer les questions et de suggérer les réponses.
— Un Berger pour ma part ! trancha Couderc.
— C’est que… Je vais voir si j’ai un fond de pastis. Cela vous ira ?
Albin opina du chef.
— Et pour vous, commissaire ?
— La même chose ! exigea Coustot.
Dans la minute qui suivit, Mlle Combarieu apparaissait avec une bouteille de Berger fraîchement ouverte.
— Finalement, j’ai trouvé dans mon armoire à alcools ce flacon à peine entamé. Dieu seul sait depuis combien de temps il est là !
— Vous ne nous accompagnez pas ? objecta poliment Fernand Coustot.
— Juste un doigt de porto pour vous tenir compagnie.
— Vous n’aimez pas les boissons anisées ?
— En vérité, je ne bois que rarement de l’alcool, se justifia Mlle Combarieu en faisant la chasse aux premières abeilles qui butinaient sur le sucrier planté au beau milieu du plateau en argent.
— Contrairement à René Labatut qui, jusqu’à ce qu’il se donne la mort, buvait du pastis car le gaillac blanc lui donnait, paraît-il, d’atroces crises de goutte, fit remarquer Albin Couderc.
— C’est donc de lui que vous voulez me parler ?
— À moins que vous ne souhaitiez que l’on évoque une autre personne du musée qui puisse nous intéresser ?
— Que voulez-vous savoir ? coupa net la secrétaire de Dorléac.
— À quand remonte votre liaison avec M. Labatut ?
La célibataire hésita :
— Dix ans, peut-être douze… Je ne suis pas très anniversaire.
— Mais, en revanche, d’une totale discrétion… appuya Coustot.
— Dans la vie, je considère que nous n’avons pas à faire
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