Toulouse-Lautrec en rit encore
soupçonnait nos petites affaires ? Vous le savez déjà ! Qu’il était cocu régulièrement ? C’est pas une grande révélation. Non, mon père s’est pendu le lendemain où la « Pie » lui a dit qu’entre eux, c’était définitivement terminé.
— Quand vous dites la « Pie », vous parlez bien de…
— … Mlle Combarieu. La secrétaire de Dorléac, oui, bien sûr ! lâcha l’aîné des Labatut, le visage révulsé, le poing raide où brillait insolemment la tête de mort de sa chevalière.
12
Sur de larges banquettes au velours parme, les grisettes du salon de la rue des Moulins attendaient, alanguies et lascives, le client du jour. La toile de Lautrec était impressionnante et criante de réalisme. L’idée qu’elle serait de nouveau exposée à la curiosité des visiteurs excitait passablement Jean Dorléac. Pour une fois, son front n’accusait aucun signe de sudation.
Dans moins d’une heure, le musée Toulouse-Lautrec serait rouvert au public. Déjà une queue se formait à l’entrée du palais de la Berbie. Exceptionnellement, Micheline Labatut se chargerait d’ouvrir les grilles.
Dos au tableau, Séraphin, Théo, Dorléac, Coustot, affublé désormais de son adjoint Couderc, tenaient un conciliabule dans cette salle dont les murs couverts de toile de jute auraient mérité une profitable cure de jouvence.
Cantarel partit alors dans un immense éclat de rire :
— Vous plaisantez, Coustot ? Mlle Combarieu avec René Labatut ?
— Ça alors ! ne finissait pas de répéter Jean Dorléac, tout hébété.
— La cornette ne fait pas l’abbesse ! renchérit Théo qui prit à témoin son patron toujours incrédule.
Albin Couderc ne jouissait pas de la complicité qui unissait les quatre hommes depuis la découverte du vol, mais il était bien décidé à en savoir plus sur la vie privée de cette secrétaire hors de tout soupçon.
— Franchement, qui, mes amis, n’aurait pas parié gros sur la virginité de Mlle Combarieu ? demanda Séraphin à la cantonade.
Chacun leva le doigt à l’exception de Trélissac.
— Théo, vous êtes le plus jeune d’entre nous, mathématiquement le plus inexpérimenté dans les choses de l’amour, et pourtant vous êtes le seul à avoir décelé chez cette célibataire endurcie une part de mystère qu’aucun de nous n’avait osé soupçonner. Je vous félicite.
Le compliment embarrassa le jeune homme qui glissa sa main droite dans ses cheveux bouclés en même temps qu’il décochait un de ces sourires carnassiers auxquels Hélène Cantarel était si sensible.
— Je comprends mieux sa sortie quand Mme Labatut est venue proposer les services de son amant au titre de nouveau concierge ! conclut Dorléac, tombé de l’armoire.
— Quelle drôle de famille ! soupira Coustot.
— Comment était ce René ? Je veux dire physiquement ? demanda Cantarel.
— Plutôt bien de sa personne, discret et efficace, un peu sujet aux crises de goutte, mais il ne jurait que par le gaillac blanc, expliqua Jean Dorléac.
Sous l’œil amusé d’Yvette Guilbert, de Jane Avril ou encore de « la Goulue », alias Louise Weber, les cinq hommes devisèrent un long moment sur l’enquête en cours.
Preuves à l’appui, le commissaire Coustot confirma les activités occultes des fils Labatut. En réalité, ils étaient filés par la police des mœurs depuis déjà plusieurs semaines, bien avant que ne soit commis le cambriolage. Leur alibi, la nuit du fric-frac, était imparable. Les protagonistes de l’orgie évoquée par Jean Labatut étaient tous fichés par les Renseignements généraux comme des partouzards de première, bénéficiant d’une immunité liée, pour la plupart d’entre eux, à leurs hautes fonctions. L’implication de Jules et Jean dans le meurtre de Dupuy n’apparaissait pas comme une hypothèse très sérieuse. Au terme de leur interrogatoire, Coustot et Couderc les avaient copieusement sermonnés en laissant planer sur leur tête la menace d’une garde à vue.
Encore une fois, la liaison Jules Labatut-Paul Dupuy sembla relever du mariage de la carpe et du lapin pour Dorléac qui, dans sa grande naïveté, ignorait tout ou presque de ce qu’il considérait comme « contre nature ».
— Êtes-vous sûrs, messieurs, de ce que vous avancez ? insista le conservateur. Après s’être offert Dorval… Ce Dupuy était décidément un affamé du sexe négocié !
— La formule est assez
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