Toulouse-Lautrec en rit encore
première, en revanche, ils n’étaient pas très doués pour les relations épistolaires, encore moins en orthographe.
Par précaution, Coustot ordonnerait une perquisition à leur domicile, car les deux frères logeaient à la même adresse : 22, rue Denfert-Rochereau, non loin de la gare Matabiau.
La chance d’y trouver une vieille machine à écrire semblait hautement improbable.
— Naturellement, vous étiez au courant que votre frère entretenait une liaison avec Paul Dupuy ?
— Jules n’est pas une tafiole !
— Je n’ai pas à porter de jugement là-dessus, ajouta le policier d’un ton neutre. Néanmoins, vous n’êtes pas sans savoir que Dupuy se travestissait et que votre frère s’est, semble-t-il, fait une spécialité dans ce domaine.
— Chacun fait ce qu’il veut de son cul !
— Je crois entendre votre mère ! De surcroît, c’est un marché juteux, si je puis m’exprimer ainsi.
Jean Labatut se lissait à nouveau le nez, hachant ses phrases :
— Jules est allé avec Dupuy pour le fric. N’allez pas chercher plus loin, commissaire !
— Toujours est-il que le corps de ce malheureux a été découvert vêtu en femme à la Gravière. Un endroit que vous connaissez bien !…
— Qui ne connaît pas la Gravière à Albi ? Tous les jeunes sont allés fumer leur premier joint là-bas. Le soir, des fois, ça baisait dur ! On y allait en bécane, même que l’été, on se baignait à poil dans le Tarn…
— Je vois, je vois, répétait Coustot sans se lasser.
Le commissaire gratta une allumette sans pour autant succomber au vice de la cigarette. L’odeur du phosphore semblait exciter les narines du policier qui ne désarmait pas :
— Qui pouvait en vouloir à Dupuy au point de l’éliminer ?
— Ceux qui ont fait le coup ! riposta le souteneur.
— Vous voulez dire les voleurs de tableaux ?
— Bien sûr. Paulo était le seul qui pouvait parler.
— Vous pensez qu’il a trempé dans cette affaire ?
— J’sais pas… lâcha le fils Labatut sur un ton soupçonneux.
— Vous saviez que votre père neutralisait parfois l’alarme du musée ?
— Tout le monde savait ! Sauf peut-être Dorléac ? Ces foutues chauves-souris déclenchaient le système presque toutes les nuits. C’était le bordel. Ma mère n’en pouvait plus et mon père a fini par céder. C’est même Dupuy qui lui avait soufflé de fermer le clapet à la « gueuleuse ». Et pourtant : il était sourd de la feuille. C’est dire !
— C’est une faute professionnelle qui lui aurait certainement coûté sa place, fit remarquer Coustot.
Le regard de Jean Labatut était fixé sur la fenêtre. Dans l’immeuble d’en face, une femme en peignoir bleu fumait une cigarette à son balcon. Penchée sur la rambarde, ses seins roses s’offraient à la vue des gens du quartier.
L’enquêteur se retourna et esquissa un sourire.
— Rassurez-vous, elle est coutumière du fait. Elle nous montre ses plus beaux appas été comme hiver. Elle est bien sûr plus méritante à Noël qu’à la Saint-Jean. Je vois que vous avez l’œil du professionnel…
Le proxénète parut flatté.
— Pour en revenir à votre père… Vous avez bien votre idée sur les motifs de son suicide. Déçu par ses fils, trompé par sa femme, peut-être demain au chômage, il n’en fallait pas plus pour qu’il « dégoupille », pour reprendre votre terme ?
La femme avait disparu de son balcon, sa cigarette consumée, après avoir rangé ses outils de séduction.
— Vous savez, monsieur Labatut, que votre frère est bien plus bavard que vous. Il est vrai que c’est un garçon sensible…
Le commissaire usait de ses bonnes vieilles ficelles et abusait de la jeunesse de ses suspects.
Les rejetons de Micheline Labatut n’étaient pas encore de vrais caïds, juste des souteneurs en herbe qui glissaient dans leur lit des filles paumées à qui ils promettaient le grand amour. Pour cela, il fallait réunir un peu de fraîche avant de partir pour Cadaqués ou Miami Beach…
— Moi, j’ai ma petite idée, suggéra Coustot. Du reste, votre frère et moi avons le même avis sur la question. On doit donc approcher de la vérité. Si, en plus, vous y mettiez du vôtre, cela éloignerait peut-être les ennuis qui vous attendent après que vous aurez quitté ce bureau…
— Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, bordel ? Que notre père ne voulait plus nous voir depuis qu’il
Weitere Kostenlose Bücher