Toulouse-Lautrec en rit encore
son épaule. Aucune chaleur n’émanait de ce corps transi que, longtemps, on avait cru incapable d’aimer.
Les abeilles continuaient leur sarabande autour du sucrier, suicidaires au point de se noyer dans le fond des verres de Berger que les deux policiers avaient abandonnés sur la table en rotin.
Avant de quitter la maison tout enrubannée de glycine, Coustot et Couderc ordonnèrent à Mlle Combarieu de bien vouloir réunir quelques effets personnels et de les suivre sur-le-champ.
Après avoir mis deux tours de clé à l’ancienne demeure du très estimé notaire d’Albi, la femme au tailleur noir se glissa entre les deux hommes en gabardine.
— Vous ne me mettez pas les menottes ?
— Je ne crois pas que ce soit nécessaire, rétorqua le commissaire toulousain. Vous êtes une femme d’honneur, n’est-ce pas ?
Au café Pontié , la terrasse était peuplée d’une faune en polo Lacoste, trop contente de jouir d’un soleil tiède comme descendu de la Montagne Noire.
Coustot crut reconnaître Hélène Cantarel et son époux sirotant comme des amoureux leur arabica. Il les ignora superbement.
Denise Combarieu, à coup sûr, lui en saurait gré.
13
À coups d’étreintes fougueuses et de baisers répétés, les corps de Cécile et de Théo s’enlaçaient à la nuit tombée.
Dans la plus grande discrétion, la chambre d’hôtel de Trélissac abritait, depuis quelques soirs déjà, leurs doux émois sans que pour autant Séraphin Cantarel ne soupçonne quoi que ce soit. Le dîner chez les Dorléac avait mis le feu à leurs cœurs en jachère ; la sève de printemps devait y être aussi pour quelque chose…
Toujours est-il que Cécile Dorléac et Théo vivaient une histoire qui ressemblait à l’amour, même si elle était promise à des lendemains incertains.
Obnubilé par la disparition des toiles de Lautrec, Séraphin en oubliait les cernes qui parfois, le matin, assombrissaient le visage de son collaborateur. Cependant, ce détail n’avait pas échappé à Hélène qui s’était inquiétée de la mine chiffonnée de son protégé à l’heure du petit déjeuner :
— Est-ce, Théo, la vision douloureuse de l’Enfer qui vous empêche de dormir la nuit ?
Le jeune homme répondit par un sourire canaille.
— … À moins que vous ne placiez vos nuits sous la bénédiction, pleine et entière, de sainte Cécile qui resta, je vous le rappelle, Théo, vierge toute sa vie ?
L’étonnante complicité unissant Théo à l’épouse de son chef faisait plaisir à voir. Tous deux se taquinaient mutuellement sous l’œil bleu de Séraphin toujours un peu rêveur.
Ce soir-là, les amoureux jouissaient de leur idylle comme si demain la vie devait les séparer. De ses jambes, de ses bras, Cécile enlaçait Théo jusqu’à en faire son prisonnier.
La sonnerie du téléphone mit un frein à leurs ébats. Théo refusa de répondre, couvrant les seins de Cécile d’une couronne de baisers furtifs. Puis le téléphone résonna à nouveau. Trélissac finit par répondre.
— Coustot à l’appareil ! J’ai besoin de vous, Théo. Je vous attends dans l’entrée de l’hôtel.
— C’est-à-dire que…
— Vous dormiez. Oui, je sais… Descendez, s’il vous plaît !
Théo marmonna quelques mots incompréhensibles aussi bien pour Cécile que pour le commissaire.
— Puis-je compter sur vous ? insista le policier.
— Je descends !…
— Habillé, cela va de soi ! Car je vous promets une petite virée…
Coustot raccrocha aussitôt.
Contrariée, la fille de Dorléac avait remonté le drap et appelait de ses yeux ronds une explication que Théo ne pouvait lui fournir.
Pendant ce temps, il cherchait en vain son caleçon. Il finit par sauter à pieds joints dans son jean, enfila un tee-shirt froissé, un pull ras du cou et chaussa ses baskets avant de déposer un tendre baiser sur les lèvres de Cécile, furibarde.
— T’inquiète pas, mon cœur ! Je serai là à ton réveil.
Le hall de l’hôtel était éclairé par un abat-jour en tissu froncé sous lequel somnolait le veilleur de nuit. Face à lui, sur une banquette en velours côtelé, attendait Fernand Coustot.
— Je savais que je pouvais compter sur vous, Théo !
— Que se passe-t-il ?
— Rien de grave, je vous rassure ! J’ai tout simplement envie de m’encanailler avec vous !
— Quoi ?
— Je vous emmène en boîte boire un verre, voulez-vous ?
— Où ça ? À cette
Weitere Kostenlose Bücher