Toute l’histoire du monde
d’entrer dans le monde moderne -pour le meilleur et pour le pire.
Que penser, que dire de l’aventure coloniale ?
D’abord, éviter l’anachronisme : les Européens de l’époque avaient bonne conscience, comme le prouve le fameux discours de Jaurès sur les devoirs des peuples supérieurs à l’égard des races inférieures. Cette ambition généreuse n’a pas été seulement un vœu pieux. La France ouvrit des dispensaires, créa l’Institut Pasteur, envoya des médecins (dont Louis-Ferdinand Céline), mais aussi des ingénieurs et des instituteurs. À côté de cruels gangsters, il y eut des saints – dont de nombreux missionnaires catholiques et protestants, qui implantèrent avec succès le christianisme au Vietnam et en Afrique noire. À côté d’exploiteurs sans scrupules, il y eut des « coopérants » dévoués, des « commandants de cercle » exceptionnels. En Angleterre, Kipling exaltait le « fardeau de l’homme blanc ». Le colonialisme avait un côté que l’on pourrait qualifier de « kouchnérien » : généreux, humaniste, « de gauche ». On trouve dans le discours de Jaurès les arguments que l’on retrouve chez Kouchner préconisant le « droit d’ingérence ». Les French doctors sont les enfants spirituels de Ferry et de Jaurès.
Cette générosité n’était pas seulement un prétexte. À toutes les nations (sauf l’Angleterre aux Indes), la colonisation a coûté davantage qu’elle n’a rapporté.
La vraie motivation de la colonisation ne fut ni humanitaire, ni économique (malgré la crise des années 1880 qui poussait les pays à s’assurer des débouchés outre-mer) ; elle résida dans la rivalité des puissances entre elles, dans la volonté de ne pas laisser la place aux autres (crises de Fachoda entre Français et Anglais, d’Agadir entre Français et Allemands).
La colonisation était-elle inéluctable ? On peut le penser. Nous l’avons déjà noté, la modernité est semblable à une épidémie. Le monde « préhistorique » d’Afrique noire n’eût pas survécu à un simple contact. Les mondes féodaux (arabo-musulman, turc, etc.) avaient plus de chances – l’exemple du Japon le prouve. Il se trouve que le Japon seul a saisi cette chance.
La colonisation a-t-elle apporté du bien ou du mal ? C’est selon. La colonisation a certainement détruit toutes les structures et institutions traditionnelles du tiers monde.
Rappelons que l’on parle de « colonisation » seulement quand les peuples en présence n’occupent pas la même place dans l’échelle du temps. C’est la notion de « décalage temporel » (qui nous servit à expliquer le succès foudroyant des Espagnols face aux Incas).
Quand Napoléon faisait la guerre aux rois d’Europe, c’était un conquérant, et non un colonisateur (ce qu’il fut en Égypte). Napoléon battait par son génie stratégique des armées aussi modernes que la sienne.
Au contraire, dans le combat colonial, il y a des siècles de décalage entre l’armée d’invasion et les troupes des peuples conquis. Le courage des mamelouks ou des guerriers zoulous n’y pouvait rien. Voilà pourquoi l’aventure coloniale est pauvre en véritables guerres. En fait, il n’y en eut que deux : la guerre des Bœrs, parce que les Afrikaners étaient des Européens, et la guerre russo-japonaise, parce que les Japonais l’étaient devenus.
Rappelons aussi que, dans la notion d’empire (même colonial), il y a une idée d’échange. L’empire prend évidemment beaucoup, mais il prétend apporter quelque chose et, de fait, l’apporte : la paix, l’équipement. L’empire est autre chose que l’hégémonie : l’hégémonie n’a pas de devoirs, l’empire en a.
Enfin, il est possible de distinguer deux sortes de colonisation : la colonisation de cadres et la colonisation de peuplement.
La colonisation de cadres encadre les pays conquis avec peu de personnel métropolitain. Les Anglais ont gouverné le sous-continent indien et ses centaines de millions d’indigènes (le terme d’« indigène » n’a aucune connotation négative : les Anglais sont les indigènes d’Angleterre) avec 100 000 colons, fonctionnaires, officiers et commerçants. Quand la colonisation cesse, ces cadres retournent en métropole.
Cette colonisation-là ne laisse en général pas de trop mauvais souvenirs aux colonisés. Les Indiens (du moins les dirigeants) sont toujours très british . Et les Sénégalais se
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