Toute l’histoire du monde
était-elle réaliste ?
En 1881, en revanche, la France pratiqua avec succès la politique du protectorat en Tunisie. Plus tard, en 1912, elle porta cette politique à une espèce de perfection au Maroc : le général Lyautey, résident général, s’y voulut une sorte de Richelieu au service du sultan ! De Marrakech à Kairouan, tout le Maghreb était devenu français.
Dès 1862, le général Faidherbe créa le grand port stratégique de Dakar, qui commande l’Atlantique Sud, et occupa le Sénégal, en Afrique noire. De hardis capitaines assurèrent peu après la possession de la majeure partie de l’Afrique de l’Ouest. Et un Français d’origine italienne, Savorgnan de Brazza, celle de l’Afrique équatoriale. Sur le fleuve Congo, Savorgnan fonda Brazzaville, qui a gardé son nom. Savorgnan était l’héritier d’une grande famille vénitienne de Brazza, en Dalmatie (aujourd’hui Kvar).
En Asie du Sud-Est, la France, présente en Cochinchine depuis le Second Empire, faisait avec le général Gallieni la conquête du Tonkin et de l’empire d’Annam, imposant aux royaumes du Laos et du Cambodge son protectorat et créant l’« l’Indochine française » (dont la culture de l’hévéa fera une riche colonie d’exploitation). Le même Gallieni, sur la route du Cap, annexa au domaine français la grande île de Madagascar, après avoir déporté la reine Ranavalona. Par ailleurs, la République gardait de la monarchie les îles des Antilles et de la Réunion, et s’imposait dans le Pacifique Sud, en Nouvelle-Calédonie et en Océanie (Tahiti).
D’Alger au Congo et de Dakar à Djibouti, la République, « pacifiant » progressivement le Sahara, s’était créé un vaste domaine africain d’un seul bloc.
La progression française de l’ouest vers l’est rencontra sur le haut Nil, à Fachoda, le mouvement anglais du nord au sud. Le 10 juillet 1898, le commandant Marchand se heurtait à Lord Kitchener. Sur l’ordre du gouvernement, Marchand dut renoncer. Depuis Napoléon III, l’Angleterre était passée du statut d’adversaire à celui d’alliée – encore davantage depuis l’annexion par la Prusse de l’Alsace-Lorraine.
Cette aventure coloniale eut ses héros et ses bourreaux : Savorgnan de Brazza libérait les esclaves et parlait de fraternité, tandis que les officiers d’une colonne qui marchait vers le Tchad, devenus fous, brûlaient les villages et jetaient la désolation dans le Sahel. Ayant assassiné le colonel que la République avait envoyé à leurs trousses, ils furent tués par leurs tirailleurs.
En 1900, trois colonnes françaises commandées par Foureau, Lamy et Gentil, et parties d’Alger, de Dakar et de Brazzaville, se rencontraient sur le lac Tchad. L’AOF (Afrique-Occidentale française) et l’AEF (Afrique-Équatoriale française) étaient créées. Comme l’Angleterre aux Indes, la France enrôla beaucoup d’Africains dans ses bataillons : Algériens, Marocains, Sénégalais constituèrent des unités de « tirailleurs » sous le commandement d’officiers français et une « armée d’Afrique » (comme les Anglais l’« armée des Indes »). En 1900, on créa à Paris l’Ecole coloniale pour assurer la formation des administrateurs. Les « colos » avaient le même niveau de formation que les énarques – et l’esprit d’aventure en plus.
En 1885, au congrès de Berlin, les Européens se partagèrent le continent africain. Car Anglais et Français n’étaient pas seuls.
Le vaste bassin du Congo, que les deux puissances convoitaient également, fut érigé en zone-tampon et donné au roi des Belges, Léopold II, à titre de propriété personnelle. Léopold exploita ses richesses (ivoire, caoutchouc, cuivre du Katanga, diamants) sans scrupules et avec une telle violence que le parlement belge s’en émut et transféra la propriété du Congo à la Belgique.
Les Russes marchaient vers l’est, fondant le port de Vladivostok en mer du Japon. En direction du sud-est, ils occupèrent les régions musulmanes de l’Amou-Daria, dont Boukhara et Samarcande. Ils établirent ainsi une espèce de condominium, avec les Anglais, sur la Perse. Au sud, l’empire des tsars assura son emprise sur le Caucase chrétien (Arménie, Géorgie) ou musulman (Azerbaïdjan).
L’Allemagne – tard engagée dans la compétition, car il lui avait fallu auparavant faire son unité et vaincre la France en 1871 – annexa cependant le Cameroun, le Togo, la
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