Tragédies Impériales
courage, une véritable noblesse d’âme, sensibles même à ceux dont l’Histoire avait fait ses ennemis. Ainsi, malgré les défaites subies à Wissembourg et à Sedan, la France, dans les colonnes de ses journaux, montrait du respect pour ce prince-martyr, dont on savait qu’il n’aimait pas la guerre, qu’il était doux et courtois, qu’il avait essayé d’adoucir un peu les rigueurs du siège de Paris et qu’il était, en Allemagne, adoré des humbles.
Ce paladin d’un autre âge, égaré au milieu des bruits de bottes de l’Allemagne bismarckienne, avait trouvé une compagne à sa mesure en la personne de Victoria (dite Vicky), princesse d’Angleterre, fille de Victoria la grande et d’Albert de Saxe-Cobourg. Et ce mariage-là avait été un véritable mariage d’amour.
Vicky avait dix-huit ans quand, le 25 janvier 1858, elle avait épousé Frédéric à Londres. Elle était grande, brune et très belle, avec de très beaux yeux bleu sombre. En outre, dès l’instant de leur première rencontre, elle avait aimé profondément, ardemment, passionnément ce jeune homme qui allait devenir son époux. Amour réciproque qui allait déboucher sur une vie de couple exemplaire.
De sa mère, Vicky tenait l’intelligence, la faculté de n’aimer qu’une seule fois mais totalement, et le goût du pouvoir. Se sachant destinée à régner un jour aux côtés de Frédéric, elle s’y était préparée de longue main avec conscience et application, s’initiant autant qu’il lui était possible (et ce n’avait pas été beaucoup) à la vie politique de son nouveau pays.
Malheureusement, à Berlin, la princesse anglaise, dotée évidemment d’une fâcheuse tendance à établir des comparaisons rarement au bénéfice de la Prusse, n’était guère appréciée. Bismarck, pour sa part, avait vite flairé une ennemie dans cette grande femme racée et silencieuse qui avait si bien su captiver son époux, cultivant chez lui les idées de libéralisme et la passion de la paix qu’elle avait apportées avec elle. Et quand Frédéric était éloigné d’elle, pour les besoins de l’armée, Vicky vivait dans un isolement digne d’une reine d’Espagne, isolement dont elle se consolait d’abord en pensant à son époux, en s’occupant de ses sept enfants (moins le jeune Guillaume, qu’on avait très vite détourné d’elle) et en entretenant avec sa mère une correspondance fournie et suivie que, naturellement, son entourage considérait d’un œil méfiant, se retenant tout juste de taxer la princesse héritière d’espionnage au profit de l’Angleterre.
À mesure que le temps passait, elle eut la douleur de voir son fils aîné se détacher d’elle pour réserver au seul Bismarck son admiration juvénile et ses vœux ambitieux. Vicky fut la première à s’apercevoir que chez le jeune Willy, le cœur n’était rien d’autre qu’un viscère parmi les autres.
Ainsi, quand le mal commença de ronger son père, le futur Guillaume II n’en montra qu’une peine fort légère, voyant surtout dans l’affreuse maladie la promesse d’une accession au trône infiniment plus rapide qu’il n’avait osé l’espérer jusque-là.
Mais revenons à San Remo, où la couronne impériale venait de parvenir à sa destination sous la forme allégorique d’un simple papier bleu remis par un télégraphiste aux mains d’un aide de camp.
Cette nouvelle, Frédéric l’attendait depuis la veille, grâce à un premier télégramme qui lui avait appris que son père était au plus mal. À sa femme, qui s’inquiétait de ce qu’il allait devoir faire et craignait pour lui le retour obligatoire à Berlin en plein hiver, il s’était contenté de murmurer, de cette voix à peine audible que lui laissait le mal :
— Il y a des cas, ma chère Vicky, où le devoir d’un homme est de courir des risques. Nous quitterons San Remo dès que ma présence sera nécessaire à Berlin.
La future impératrice avait alors adressé un regard lourd d’inquiétude au médecin ordinaire de son époux. C’était un Anglais, naguère envoyé par la reine Victoria et si, par force, il avait bien fallu tolérer au chevet du malade des médecins allemands, Sir Morell Mackenzie était le seul en qui elle eût confiance car il faisait autorité en la matière.
À l’interrogation muette de la princesse, celui-ci répondit avec un sourire destiné uniquement à lui rendre courage.
— Nous prendrons toutes les précautions,
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