Tragédies Impériales
promenaient souvent à cheval ensemble et, sur leur passage, les bons Berlinois souriaient avec complaisance. Pour les deux amoureux, aucune autre issue que le bonheur n’était possible. Ils avaient pleine confiance dans les conclusions de la commission. Mais peut-être en étaient-ils trop sûrs…
Un soir, après un concert au palais de Potsdam, toute la cour put s’apercevoir que Mlle Radziwill laissait tomber une bague, et que le prince se précipitait pour ramasser le bijou et le porter passionnément à ses lèvres. Mais quand il voulut le rendre à Élisa, elle secoua la tête doucement :
— Gardez-la ! Quand vous aurez lu ce qui est écrit à l’intérieur, vous comprendrez qu’elle est pour vous.
À l’intérieur, en effet, deux mots : « Fidélité Éternelle ». Guillaume en pleura de bonheur, mais l’incident déplut profondément au roi. La commission fut invitée à déposer ses conclusions… qui bien entendu furent négatives, et le pauvre prince se retrouva devant son père qui, sans ménagements, lui annonça que son régiment partait le lendemain pour Düsseldorf et qu’il lui fallait se préparer à l’accompagner.
— Vous avez ordonné des manœuvres, Sire ? demanda le jeune homme, déjà inquiet.
— Non, il s’agit de renforcer la garnison qui est insuffisante. Séjour d’une durée… indéterminée !
Frédéric-Guillaume détourna la tête pour ne pas regarder son fils qui venait de pâlir. Il s’en voulait brusquement de ce rôle qu’avait assumé, mais il n’était plus possible de reculer.
— La commission a conclu… à la négative ! ajouta-t-il. Il n’a rien à faire ! Je sais que je te demande beaucoup, Guillaume, mais tu es un homme, que diable ! Je pense que tu sauras te comporter comme tel.
Mais Guillaume n’entendait plus rien, ne voyait plus rien. Comme un automate, il salua militairement, claqua des talons et, sans un mot, quitta le cabinet paternel, le cœur en lambeaux. Le lendemain, il partait pour Düsseldorf.
L’exil y dura trois ans. Trois ans de regrets, de désespoir et de lettres dont on imagine mal l'intensité passionnelle. D’autres lettres partaient aussi, vers le roi, vers sa famille dans l’espoir que quelqu’un, enfin, prendrait en pitié son supplice et le ferait cesser.
Cette souffrance qui ne voulait pas s’éteindre vint tout de même à bout des préventions de la famille. On le rappela enfin, mais quand il revint à Berlin, la consternation des siens lui prouva qu’il avait beaucoup changé. Était-ce bien le joyeux Guillaume, ce long garçon sinistre, maigre, et visiblement désespéré ? Son frère aîné tenta de le raisonner, son cousin Fritz le sermonna, son oncle, Georges de Mecklembourg, essaya de faire appel à la raison d’État. Seule, sa tante Marianne, dans les bras de laquelle il sanglota interminablement avant de s’évanouir d’épuisement, comprit que c’était grave. Elle avertit sa nièce, la grande-duchesse. Celle-ci, inquiète, finit par trouver une solution. Fallait-il qu’ÉIisa fût princesse royale pour assurer le bonheur de Guillaume ? Il n’y avait qu’à la faire adopter par le tsar !…
Cette idée plongea le pauvre amoureux dans un délire de joie. Comment n’y avait-on pas songé plus tôt ? Interrogé, le roi admit que, dans de telles conditions, le mariage pourrait en effet être possible et l’espoir revint dans le cœur de Guillaume et dans celui d’Élisa que, fidèle à sa parole, il n’avait pas revue depuis trois ans.
Hélas, le tsar, d’abord consentant, se rétracta. Il y avait des impossibilités religieuses, car Élisa, pour devenir grande-duchesse, devrait se convertir à l’orthodoxie, abandonnant ainsi son catholicisme natal. Mais pour épouser Guillaume, elle devrait changer encore de religion et embrasser le protestantisme. C’était tout de même un peu beaucoup.
Cependant, l’idée était lancée et toute la famille voulait aider Guillaume. Ce fut l’un de ses oncles, le prince Auguste de Prusse, qui trancha la question en déclarant qu’il adopterait, lui, Élisa. Il n’y avait plus d’obstacles…
Au soir de Noël 1824, les deux amoureux si longtemps séparés se revirent avec l’émotion que l’on imagine.
— Après trois longues années d’épreuve ! murmura Guillaume en relevant Élisa de sa révérence. Elle était plus belle que jamais et ses yeux étaient pleins de larmes.
— Se peut-il, Monseigneur, que nous soyons
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