Traité du Gouvernement civil
règlements; telle est l'action de ceux qui m'extorquent et m'arrachent de force quelque chose. Et il ne sert de rien de dire que j'ai promis; car il est aussi vrai que ma promesse, en cette occasion, ne m'engage et ne m'oblige à rien, qu'il l'est que je ne rends point juste et légitime la violence d'un voleur, lorsque je mets la main dans mon gousset, et que j'en tire ma bourse, et la remets moi-même entre les mains du voleur qui me la demande le pistolet à la main.
187. De tout cela, il s'ensuit que le gouvernement d'un conquérant, établi par force sur ceux qui ont été subjugués, et auxquels il n'avait pas droit de faire la guerre, ou qui ne se sont pas joints à ceux qui ont agi et combattu dans une guerre juste qu'il leur a faite, est un gouvernement injuste et illégitime.
188. Mais supposons que tous les membres d'un corps politique qui a été subjugué, se soient joints ensemble pour faire une guerre injuste, et que leur vie soit à la merci et en la disposition du vainqueur.
189. Je dis que cela ne concerne point leurs enfants, qui sont mineurs. Car, puisqu'un père n'a point de pouvoir sur la vie et sur la liberté de ses enfants, aucune de ses actions et de ses démarches ne les leur peut faire perdre. Ainsi, les enfants, quelque chose qui arrive à leur père, sont toujours des personnes libres; et le pouvoir absolu d'un conquérant ne s'étend que sur la personne de ceux qu'il a subjugués : et quoiqu'il ait droit de les gouverner comme des esclaves, comme des gens assujettis à son pouvoir absolu et arbitraire, il n'a point un tel droit de domination sur leurs enfants. Il ne peut avoir de pouvoir sur eux que par leur consentement; et son autorité ne saurait être légitime, tandis que la force, non le choix, les oblige de se soumettre.
190. Chacun est né avec deux sortes de droits. Le premier droit est celui qu'il a en sa personne, de laquelle il peut seul disposer. Le second est le droit qu'il a, avant tout autre homme, d'hériter des biens de ses frères ou de son père.
191. Par le premier de ces droits, on n'est naturellement sujet à aucun gouvernement, encore qu'on soit né dans un lieu où il y en ait un établi. Mais aussi, si l'on ne veut pas se soumettre au gouvernement légitime, sous la juridiction duquel on est né, il faut abandonner le droit qui est une dépendance de ce gouvernement-là, et renoncer aux possessions de ses ancêtres, si la société où elles se trouvent a été formée par leur consentement.
192. Par le second, les habitants d'un pays, qui sont descendus des vaincus, et tirent le droit qu'ils ont sur leurs biens de gens qui ont été subjugués : ces sortes d'habitants, qui sont soumis par force et contre leur consentement libre, à un gouvernement fâcheux, retiennent leur droit aux possessions de leurs ancêtres, quoiqu'ils ne consentent pas librement au gouvernement sous lequel elles se trouvent, et dont les rudes conditions ont été imposées par force. Car le conquérant n'ayant jamais eu de droit sur ce pays dont il s'agit, le peuple, c'est-à-dire les descendants et les héritiers de ceux qui ont été forcés de subir le joug ont toujours droit de le secouer, et de se délivrer de l'usurpation ou de la tyrannie que l'épée et la violence ont introduite, jusqu'à ce que leurs conducteurs les aient mis sous une forme de gouvernement à laquelle ils consentent volontairement et de bon cœur, ce qu'ils ne peuvent jamais être supposés faire, jusqu'à ce qu'ils aient été mis dans l'état d'une pleine liberté, dans lequel ils puissent choisir et le gouvernement et les gouverneurs, ou du moins jusqu'à ce qu'ils aient des lois stables, auxquelles ils aient, ou immédiatement, ou par ceux qui les représentent, donné leur consentement libre, et ainsi, jusqu'à ce qu'ils aient mis en sûreté tout ce qui leur appartient en propre, en sorte que personne ne puisse jamais leur en prendre rien contre leur consentement, sans quoi ils ne sauraient, sous aucun gouvernement, être dans l'état d'hommes libres, mais seraient plutôt de véritables esclaves, et des gens exposés aux fureurs et aux calamités de la guerre. Et qui doute que les Chrétiens de la Grèce, qui sont descendus des anciens possesseurs de ce pays, qui est aujourd'hui sous la domination du Grand Seigneur, ne pussent justement, s'ils avaient assez de force pour cela, secouer le joug des Turcs, sous lequel ils gémissent depuis si longtemps?
193.
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