Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
cela ne dura qu’une fraction de seconde. Penché sur le bord de la cuve, je me mis à boire, d’abord prudemment, puis de plus en plus goulûment. Je levais la tête, assez haut pour reprendre haleine, les mains appuyées sur les bords du récipient. Puis j’aspirais de nouveau le bienfaisant liquide qui me revigorait.
Soudain, je sentis que l’on m’empoignait durement la nuque et que l’on m’enfonçait violemment la tête dans la cuve. Je tentai mais en vain de me dégager de cette étreinte. Ayant réussi à me redresser, et comme j’ouvrais désespérément la bouche pour aspirer un peu d’air, on me plongea de nouveau la tête dans la cuve et je sentis le thé pénétrer douloureusement dans mes poumons. Mes oreilles tintaient, j’allais être noyé comme un rat. Je perdis connaissance.
Une douleur sourde dans le mollet, une sorte de rumeur dans la tête et des bourdonnements étranges dans les oreilles m’avertirent que j’étais encore en vie. J’étais étendu sur le sol. Encore engourdi, j’entendis des vociférations : « Allons, debout ! maudit juif communiste ! Vite, dare-dare ! » Un picotement au visage m’empêchait d’ouvrir les yeux. Lorsque je repris tous mes sens, je distinguai des silhouettes qui m’étaient familières. Je reconnus le chef de bloc Schlage et son adjoint, Vacek. Un homme de petite taille était avec eux, un chef S.S. que je voyais pour la première fois et que je devais rencontrer de nouveau le soir-même.
Ils avaient manifestement attendu que Maurice et moi-même ayons repris connaissance. L’immersion dans la cuve de thé devait leur paraître une punition trop douce pour notre comportement. Nous devions nous attendre à des répressions plus cruelles.
Je me levai péniblement. La pâleur de mon compagnon, qui gisait encore inanimé sur le sol, me fit peur. Cependant, quelques instants plus tard, il reprit connaissance à son tour et se leva. Vacek nous conduisit au bloc en empruntant l’escalier. Il nous enjoignit de nous placer face à la chambre du chef de bloc. J’avais du mal à me tenir sur mes jambes, et, bien sûr, tout cela ne présageait rien de bon pour nous.
Peut-être attendaient-ils que nous ayons repris quelques forces pour nous faire exécuter « une séance de sport ». J’entendais déjà les commandements : « Couchés ! Debout ! En avant, marche ! Marche ! Plus vite ! Au pas de course ! Couchés ! » qui résonnaient dans mes oreilles comme des rafales de mitrailleuse et qui signaient en fait notre condamnation à mort. Je déplaçai insensiblement le poids de mon corps d’un pied sur l’autre, pour détendre un peu mes membres crispés. Mais je n’osais pas tourner la tête. Le moindre bruit me terrorisait, et à chaque instant je craignais de voir arriver mes bourreaux. Le temps semblait s’être figé, une seconde me paraissait durer une éternité ; les pensées tourbillonnaient sans fin dans mon cerveau. Je passais en revue la gamme des tourments que je ne connaissais que trop et par lesquels on brisait les détenus récalcitrants : vingt-cinq coups de trique sur les fesses nues, suspension du corps par les mains liées, privation de nourriture dans une cellule obscure, séance de sport dans la cour, toutes ces éventualités m’angoissaient. Peut-être allait-on m’obliger à me baisser et à me relever cent ou cent cinquante fois de suite. Une chose était certaine, je n’aurais jamais la force de tenir le coup. Vacek me ferait alors subir le sort de mes trente-cinq compagnons de souffrance d’aujourd’hui.
Dans cette triste situation je n’avais pas prêté attention au fait que l’on avait sonné à la porte d’entrée du bloc, restée fermée. J’entendis les hurlements de Schlage : « Dehors ! Sortez du bloc, criminels ! » et je courus vers la porte donnant sur la cour, mais une sentinelle S.S. qui se trouvait en faction nous refoula vers la sortie du camp. Là, mon compagnon et moi fûmes remis entre les mains de deux S.S. armés qui nous conduisirent derrière la chambre du chef de bloc. Je m’attendais à tout moment à recevoir un coup de matraque sur la tête. Au lieu de quoi, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre de plus en plus nettement de la musique au fur et à mesure que nous avancions. Enfin je reconnus nettement des mélodies de Schubert, qui étaient exécutées par un véritable orchestre. Cette constatation me rassura un peu et chassa mes sombres
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